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que par des défaites qui choquèrent la droiture du prosélyte et achevèrent de le déterminer. Alors il s’ouvrit au prélat et au ministre, du commerce qu’il avoit depuis longtemps avec eux à l’insu l’un de l’autre ; il les voulut voir aux mains, mais toujours dans le plus profond secret. Cette lutte acheva de convaincre son esprit par la lumière, et son cœur par les échappatoires peu droites qu’il remarqua souvent dans M. Claude, sur lesquelles après, tête à tête, il n’en put tirer de meilleures solutions.

Convaincu alors, il prit son parti, mais les considérations de ses proches l’arrêtèrent encore. Il sentoit qu’il alloit plonger le poignard dans le cœur des trois personnes qui lui étoient les plus chères, sa mère, sa sœur et M. de Turenne à qui il devoit tout, et de qui il tenoit tout jusqu’à sa subsistance.

Cependant ce fut par lui qu’il crut devoir commencer. Il lui parla avec toute la tendresse, toute la reconnoissance, tout le respect du meilleur fils au meilleur père ; et, après un préambule dont il sentit tout l’embarras, il lui fit toute la confidence de cette longue retraite dont il lui avoua enfin le fruit, et il assaisonna cette déclaration de tout ce qui en pouvoit adoucir l’amertume. M. de Turenne l’écouta sans l’interrompre d’un seul mot, puis, l’embrassant tendrement, lui rendit confidence pour confidence, et l’assura qu’il avoit d’autant plus de joie de sa résolution, que lui-même en avoit pris une pareille après y avoir travaillé longtemps avec le même prélat que lui. On ne peut exprimer la surprise, le soulagement, la joie de M. de Lorges. M. de Meaux lui avoit fidèlement caché qu’il instruisoit M. de Turenne depuis longtemps, et à M. de Turenne ce qu’il faisoit avec M. de Lorges. Fort peu de temps après, la conversion de M. de Turenne éclata. La délicatesse de M. de Lorges ne lui permit pas de se déclarer sitôt. Le respect du monde le contint encore cinq ou six mois dans la crainte qu’on ne le crut entraîné par l’exemple d’un homme de ce poids auquel tant de liens l’attachoient. Sans