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pour Marly, tantôt pour une place de dame du palais, exaltoit sans cesse les grandeurs de son gendre, chargea Torcy de savoir par preuves qui étoit ce M. de Rupelmonde. Les informations lui arrivèrent prouvées en bonne forme, qui démontrèrent que le père de ce gendre de Mme d’Alègre, après avoir travaillé de sa main aux forges de la véritable dame de Rupelmonde, en étoit devenu facteur, puis maître, s’y étoit enrichi, en avoit ruiné les possesseurs, et étoit devenu seigneur de leurs biens et de leurs terres en leur place. Torcy me l’a conté longtemps depuis en propres termes. Mais l’avis étoit venu trop tard, et avoit trouvé Mme de Rupelmonde admise à tout ce que le sont les femmes de qualité. Le roi ne voulut pas faire un éclat.

Jamais je ne vis homme si triste que ce Rupelmonde ni qui ressemblât plus à un garçon apothicaire. Je me souviens qu’un soir que nous étions à Marly, et qu’au sortir du cabinet du roi Mme la duchesse de Bourgogne s’étoit remise au lansquenet, où étoit Mme de Rupelmonde qui y coupoit, un suisse du salon entra quelques pas et cria fort haut : « Madame Ripilmande, allez coucher ; votre mari est au lit qui envoie vous demander. » L’éclat de rire fut universel.

Le mari, en effet, avoit envoyé chercher sa femme, et le valet, comme un sot, avoit dit au suisse la commission, au lieu de demander à parler à Mme de Rupelmonde, et la faire appeler à la porte du salon. Elle ne vouloit point quitter le jeu, moitié honteuse, moitié effrontée ; mais Mme la duchesse de Bourgogne la fit sortir. Le mari fut tué bientôt après. Le deuil fini, la Rupelmonde intrigua plus que jamais, et à force d’audace et d’insolence, de commodités et d’amourettes, parvint longtemps depuis à être dame du palais de la reine à son mariage, et par une longue et publique habitude avec le comte depuis duc de Grammont, à faire le mariage de son fils unique avec sa fille rousse et cruellement laide, sans un sou de dot.

Les ducs d’Elbœuf, père et fils, gouverneurs de Picardie,