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l’avoient précédé, avoient eu ce traitement, qui s’étoit perdu ensuite. Le duc de Créqui le fit rétablir, et les ducs de Gesvres et de Tresmes en profitèrent. La ville lui donna le même jour un grand festin, où il mena quantité de gens de la cour et de Paris, qui furent placés, à la droite d’une table longue, dans trente fauteuils ; vis-à-vis, sur trente chaises à dos, furent les échevins, les conseillers de ville et les conviés du prévôt des marchands, qui étoit seul avec le duc de Tresmes ; et à sa gauche, au haut bout de la table, dans deux fauteuils, le prévôt des marchands et tous les officiers de la ville en habit de cérémonie. On parla fort de la magnificence du repas, qui fut en poisson, parce que c’étoit un samedi 24 janvier. Le duc de Tresmes jeta de l’argent au peuple en entrant et en sortant de l’hôtel de ville.

Mme d’Alègre maria en ce même mois sa fille à Rupelmonde, Flamand et colonel dans les troupes d’Espagne, pendant que son mari étoit employé sur la frontière ; elle s’en défit à bon marché, et le duc d’Albe en fit la noce. Elle donna son gendre pour un grand seigneur, et fort riche, à qui elle fit arborer un manteau ducal. Sa fille, rousse comme une vache, avec de l’esprit et de l’intrigue, mais avec une effronterie sans pareille, se fourra à la cour, où avec les sobriquets de la blonde et de vaque-à-tout, parce qu’elle étoit de toutes foires et marchés, elle s’initia dans beaucoup de choses, fort peu contrainte par la vertu et jouant le plus gros jeu du monde. Ancrée suffisamment, à ce qu’il lui sembla, non contente de son manteau ducal postiche, elle hasarda la housse sur sa chaise à porteurs. Le manteau, quoique nouvellement, c’est-àdire depuis vingt ou vingt-cinq ans, se souffroit à plusieurs gens, qui n’en tiroient aucun avantage, mais pour la housse, personne n’avoit encore jamais osé en prendre sans droit. Celle-ci fit grand bruit, mais ne dura que vingtquatre heures. Le roi la lui fit quitter avec une réprimande très forte.

Le roi, lassé des lettres de Mme d’Alègre, qui tantôt