Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée

seule avec elle dans un cabinet et y demeurèrent très longtemps.

Un mois après arriva un colonel dans les troupes d’Espagne, Italien appelé Pozzobuono, dépêché exprès et uniquement par le roi et la reine pour venir apporter leurs remerciements au roi sur la princesse des Ursins, et ordre au duc d’Albe d’aller avec tout son cortège lui faire une visite de cérémonie, comme la première fois qu’il fut chez les princesses du sang. De ce moment il fut déclaré qu’elle demeureroit ici jusqu’au mois d’avril pour donner ordre à ses affaires et à sa santé. C’étoit déjà un grand pas que d’être maîtresse d’annoncer ainsi son séjour. Personne, à la vérité, ne doutoit de son retour en Espagne, mais la parole n’en étoit pas léchée ; elle évitoit de s’en expliquer, et on peut juger qu’elle n’essuya pas là-dessus de questions indiscrètes. Elle se mesura fort à voir Monseigneur, Madame, Monsieur et Mme la duchesse d’Orléans et les princesses du sang ; donna plusieurs jours au flot du monde, puis se renferma sous prétexte d’affaires, de santé, d’être sortie, et tant qu’elle put ne vit à Paris que ses amis ou ses plus familières connoissances, et les gens que par leur place elle ne pouvoit refuser.

Tant d’audiences et si longues, suivies de tant de sérénité et de foule, fit un grand effet dans le monde, et augmenta fort les empressements. Deux jours après ma première visite à Versailles, je retournai chez elle, je lui retrouvai avec moi son ancienne ouverture avec laquelle elle me fit quelques reproches d’avoir été plus intimement de ses amis avant ses affaires que depuis. Cela ne servit qu’à nous réchauffer dans la conversation même, où elle s’ouvrit et me parut avoir envie de me parler. Je ne laissai pas d’être en garde par rapport à M. de Beauvilliers ; je savois le raccommodement du chancelier, je ne la craignois pas sur Chamillart, et je ne me souciois point de Torcy, avec qui je n’étois en aucune liaison. Elle ne me fit point d’embarras, elle savoit