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craignoit de le troubler, n’osa appeler personne. Le duc de Grammont ne fut que trop bon prophète ; bientôt après frère Jacques lui-même demanda du secours. Il l’eut à l’instant, mais tout fut inutile. M. le maréchal de Lorges mourut le samedi 22 octobre, sur les quatre heures du matin, ayant toujours eu auprès de lui l’abbé Anselme, alors directeur et prédicateur fameux.

Le spectacle de cette maison fut terrible ; jamais homme si tendrement et si universellement regretté, ni si véritablement regrettable. Outre ma vive douleur, j’eus à soutenir celle de Mme de Saint-Simon, que je crus perdre bien des fois ; rien de comparable à son attachement pour son père, et à la tendresse qu’il avoit pour elle ; rien aussi de plus parfaitement semblable que leur âme et leur cœur. Il m’aimoit comme son véritable fils, et je l’aimois et le respectois comme le meilleur père, avec la plus entière et la plus douce confiance.

Né troisième cadet d’une nombreuse famille, ayant perdu son père à l’âge de cinq ans, il porta les armes à quatorze. M. de Turenne, frère de sa mère, prit soin de lui comme de son fils, et dans la suite lui donna tous ses soins et toute sa confiance. L’attachement du neveu répondit tellement à l’amitié de l’oncle, qu’ils vécurent toujours ensemble, et furent considérés de tout le monde comme un père et un fils les plus étroitement unis. Des malheurs de temps et des engagements de famille entraînèrent M. de Lorges dans le parti de M. le Prince. Il le suivit même aux Pays-Bas ; il servit sous lui de lieutenant général avec de grandes distinctions et s’acquit entièrement son estime.

Instruit déjà par M. de Turenne, il se perfectionna sous M. le Prince et revint sous son oncle, qui se fit un plaisir et une étude de le rendre capable de commander dignement les armées, en l’employant dans les siennes à tout ce qu’il y avoit de plus difficile et de plus important, M. de Lorges, jeune et bien fait, galant, fort dans le