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de camp, furent tués devant Verue ; deux hommes d’une grande valeur, mais tout à fait singuliers.

On avoit fait l’hiver précédent plusieurs masques de cire de personnes de la cour, au naturel, qui les portoient sous d’autres masques, en sorte qu’en se démasquant on y étoit trompé en prenant le second masque pour le visage, et c’en étoit un véritable tout différent dessous ; on s’amusa fort à cette badinerie. Cet hiver-ci on voulut encore s’en divertir. La surprise fut grande lorsqu’on trouva tous ces masques naturels, frais et tels qu’on les avoit serrés après le carnaval, excepté ceux de Bouligneux et de Wartigny, qui, en conservant leur parfaite ressemblance, avoient la pâleur et le tiré de personnes qui viennent de mourir. Ils parurent de la sorte à un bal, et firent tant d’horreur qu’on essaya de les raccommoder avec du rouge, mais le rouge s’effaçoit dans l’instant, et le tiré ne se put rajuster. Cela m’a paru si extraordinaire que je l’ai cru digne d’être rapporté ; mais je m’en serois bien gardé aussi, si toute la cour n’avoit pas été comme moi témoin, et surprise extrêmement et plusieurs fois, de cette étrange singularité. À la fin on jeta ces deux masques.

Le 18 octobre mourut à Paris la duchesse d’Aiguillon, sœur du duc de Richelieu, qui ne fut jamais mariée. C’étoit une des plus extraordinaires personnes du monde, avec beaucoup d’esprit. Elle fut un mélange de vanité et d’humilité, de grand monde et de retraite, qui dura presque toute sa vie ; elle se mit si mal dans ses affaires, qu’elle raccommoda depuis, qu’elle cessa d’avoir un carrosse et des chevaux. Elle auroit pu, quand elle vouloit sortir, se faire mener par quelqu’un ou se faire porter en chaise. Point du tout, elle alloit dans ces chaises à roue qu’on loue, qu’un homme traîne et qu’un petit garçon pousse par derrière, qu’elle prenoit au coin de la rue. En cet équipage, elle s’en alla voir Monsieur, qui étoit au Palais-Royal, et dit à son traîneur d’entrer. Les gardes de la porte le repoussèrent ;