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sous la vengeance d’un amiral fils du roi le détermina à perdre lui-même la marine, pour la mettre hors d’état de revoir l’amiral à la mer. Il se le promit et se tint exactement parole ; cela ne fut que trop bien vérifié depuis par les faits, et que les débris de la marine ne l’appauvrirent pas. Le comte de Toulouse ne revit plus ni ports ni vaisseaux, et il ne sortit depuis que de très faibles escadres, et le plus rarement qu’il se put. Pontchartrain eut l’impudence de s’en applaudir devant moi.

Au commencement de novembre, mourut, sur la frontière de Flandre, un homme qui fit plaisir à tous les siens : ce fut Caylus, frère de celui d’Espagne et de l’évêque d’Auxerre, cousin germain d’Harcourt, qui avoit épousé la fille de Villette, lieutenant général des armées navales, cousin germain de Mme de Maintenon qui avoit toujours pris soin d’elle comme de sa propre nièce.

Jamais un visage si spirituel, si touchant, si parlant, jamais une fraîcheur pareille, jamais tant de grâces ni plus d’esprit, jamais tant de gaieté et d’amusement, jamais de créature plus séduisante. Mme de Maintenon l’aimoit à ne se pouvoir passer d’elle, au point de fermer les yeux sur une conduite que Mme de Montchevreuil avoit autrefois trop éclairée, et qui, n’étant pas devenue meilleure dans le fond, avoit encore des saillies trop publiques. Son, mari, blasé, hébété depuis plusieurs années de vin et d’eau-de-vie, étoit tenu à servir, hiver et été, sur la frontière pour qu’il n’approchât ni de sa femme ni de la cour. Lui aussi ne demandoit pas mieux, pourvu qu’il fût toujours ivre.

Sa mort fut donc une délivrance dont sa femme et ses plus proches ne se contraignirent pas de la trouver telle. Mme de Maintenon se tint toujours dans la chambre de cette belle à son mariage à recevoir les visites ; et la princesse d’Harcourt, servante à tout faire, chargée des honneurs à tout ce qui y venoit. Mme de Caylus s’échappoit tant qu’elle pouvoit chez Mme la Duchesse, où elle trouvoit à se divertir. Elle aimoit le jeu sans avoir de quoi le soutenir,