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équité. Le maréchal de Cœuvres, M. d’O et tous les autres chefs de degré ou de confiance ne furent pas mieux traités, tellement qu’ils excitèrent tous le comte à ce qu’ils s’étoient déjà proposé, qui étoit de perdre Pontchartrain en arrivant, pour montrer au net les contretemps et leurs suites, et le secrétaire d’État comme l’auteur de malices méditées, et de là, par effort de crédit auprès du roi. Il falloit l’audace de Pontchartrain pour s’être mis en ce danger, prévu et déploré souvent et inutilement par son sage père, par sa mère et par sa femme. L’ivresse dura jusqu’au retour du comte de Toulouse que la famille fut avertie de toutes parts de l’orage, et Pontchartrain lui-même par l’accueil qu’il reçut de l’amiral et des principaux de la flotte.

Aussi abject dans le danger qu’audacieux dans la bonace, il tenta tout à la fois pour prévenir sa chute, et n’en remporta que des dédains.

Enfin, le jour venu où le comte devoit travailler seul à fond avec le roi pour lui rendre un compte détaillé de son voyage, et de tout faire pour perdre Pontchartrain, sa femme prit sur sa modestie et sur sa timidité naturelle de l’aller trouver chez Mme la duchesse d’Orléans, et le forcer à entrer seul avec elle dans un, cabinet. Là, fondue en larmes, reconnoissant tous les torts de son mari, exposant quelle seroit sa condition à elle s’il étoit perdu selon ses mérites, elle désarma l’amiral et en tira parole de tout oublier, pourvu qu’à l’avenir le secrétaire d’État ne lui donnât pas lieu de rappeler l’ancien avec le nouveau. Il avoua qu’il n’avoit jamais pu résister à la douceur et à la douleur de Mme de Pontchartrain, et que, quelque résolution qu’il eût faite, les armes lui étoient tombées des mains, en considérant quel seroit le malheur de cette pauvre femme entre les mains d’un cyclope furieux de sa chute, qui n’auroit plus rien à faire dans son délaissement que de la tourmenter. Ce fut ainsi que Pontchartrain fut sauvé, mais il en coûta cher à l’État. La peur qu’il eut de succomber sous la gloire ou