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et si fort hors de tout sens et de toute mesure, et toutefois d’éviter sur toute chose de se commettre avec lui. Le pis fut qu’au partir de là, il menaça, dit force choses sur Nangis, comme un homme qui en étoit vivement offensé, qui étoit résolu d’en tirer raison et de l’attaquer partout. Quoiqu’il n’en dît pas la cause, elle étoit claire, On peut juger de la frayeur qu’en conçut la princesse, de la peur et des propos de Mme de La Vrillière et de ce que devint Nangis. Il étoit brave de reste pour n’en craindre personne, et prêter le collet à quiconque, mais le prêter sur pareil sujet, il en pâmoit d’effroi. Il voyoit sa fortune et des suites affreuses entre les mains d’un fou furieux. Il prit le parti de l’éviter avec le plus grand soin qu’il put, de paroître peu, et de se taire.

Mme la duchesse de Bourgogne vivoit dans des mesures et des transes mortelles, et cela dura plus de six semaines de la sorte, sans que pourtant elle en ait eu autre chose que l’extrême peur. Je n’ai point su ce qui arriva, ni qui avertit Tessé, mais il le fut et fit un trait d’habile homme. Il persuada son gendre de le suivre en Espagne, où il lui fit voir les cieux ouverts pour lui. Il parla à Fagon, qui du fond de sa chambre et du cabinet du roi voyoit tout et savoit tout. C’étoit un homme d’infiniment d’esprit, et avec cela un bon et honnête homme. Il entendit à demi-mot, et fut d’avis qu’après tous les remèdes que Maulevrier avoit tentés pour son extinction de voix et sa poitrine, il n’y avoit plus pour lui que l’air des pays chauds ; que l’hiver où on alloit entrer le tueroit infailliblement en France et lui seroit salutaire dans un pays où cette saison est une des plus belles et des plus tempérées de l’année ; ce fut donc sur le pied de remède et comme l’on va aux eaux, que Maulevrier alla en Espagne. Cela fut donné ainsi à toute la cour et au roi, à qui Fagon persuada ce qu’il voulut par des raisonnements de médecine, où il ne craignit point de contradicteur entre le roi et lui, et à Mme de Maintenon tout de même, qui l’un et