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l’ambition d’être bien informé. Enfin toute la cour assidue et éclairée s’aperçut de ce qui avoit été caché d’abord avec tant de soin. Mais, soit crainte, soit amour de cette princesse qu’on adoroit, cette même cour se tut, vit tout, se parla entre elle et garda le secret qui ne lui étoit pas même confié. Ce manège, qui ne fut pas sans aigreur de la part de Mme de La Vrillière pour la princesse, et quelquefois insolemment placé, ni sans une souffrance et un éloignement doucement marqué de la princesse pour elle, fit longtemps un spectacle fort singulier.

Soit que Nangis, trop fidèle à son premier amour eût besoin de quelques grains de jalousie, soit que la chose se fît naturellement, il arriva qu’il trouva un concurrent. Maulevrier, fils d’un frère de Colbert, mort de douleur de n’être pas maréchal de France à la promotion où le maréchal de Villeroy le fut, avoit épousé une fille du maréchal de Tessé. Maulevrier n’avoit point un visage agréable, sa figure étoit d’ailleurs très commune. Il n’étoit point sur le pied de la galanterie. Il avoit de l’esprit, et un esprit fertile en intrigues sourdes, une ambition démesurée, et rien qui la pût retenir, laquelle alloit jusqu’à la folie. Sa femme étoit jolie, avec fort peu d’esprit, tracassière, et, sous un extérieur de vierge, méchante au dernier point. Peu à peu elle fut admise, comme fille de Tessé, à monter dans les carrosses, à manger, à aller à Marly, à être de tout chez Mme la duchesse de Bourgogne, qui se piquoit de reconnoissance pour Tessé qui avoit négocié la paix de Savoie et son mariage, dont le roi lui savoit fort bon gré. Maulevrier écuma des premiers ce qui se passoit à l’égard de Nangis ; il se fit donner des privances chez Mme la duchesse de Bourgogne par son beau-père ; il s’y rendit assidu ; enfin, excité par l’exemple, il osa soupirer. Lassé de n’être point entendu, il hasarda d’écrire ; on prétendit que Mme Cantin, amie intime de Tessé, trompée par le gendre, crut recevoir de sa main des billets du beau-père, et que, les regardant comme sans