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qu’elle eût des regards pour un autre que pour lui. Il en tomba pourtant sur Nangis, et bientôt ils redoublèrent. Nangis n’en fut pas ingrat, mais il craignit la foudre, et son cœur étoit pris.

Mme de La Vrillière qui, sans beauté, étoit jolie comme les amours et en avoit toutes les grâces, en avoit fait la conquête. Elle étoit fille de Mme de Mailly, dame d’atours de Mme la duchesse de Bourgogne ; elle étoit de tout dans sa cour ; la jalousie l’éclaira bientôt. Bien loin de céder à la princesse, elle se piqua d’honneur de conserver sa conquête, de la lui disputer, de l’emporter. Cette lutte mit Nangis dans d’étranges embarras : il craignoit les furies de sa maîtresse qui se montroit à lui plus capable d’éclater qu’elle ne l’étoit en effet. Outre son amour pour elle, il craignoit tout d’un emportement et voyoit déjà sa fortune perdue. D’autre part, sa réserve ne le perdoit pas moins auprès d’une princesse qui pouvoit tant, qui pourroit tout un jour et qui n’étoit pas pour céder, non pas même pour souffrir une rivale. Cette perplexité, à qui étoit au fait, donnoit des scènes continuelles. Je ne bougeois alors de chez Mme de Blansac à Paris, et de chez la maréchale de Rochefort à Versailles ; j’étois ami intime de plusieurs dames du palais qui voyoient tout et ne me cachoient rien ; j’étois avec la duchesse de Villeroy sur un pied solide de confiance, et avec la maréchale, tel, qu’ayant toujours été mal ensemble, je les raccommodai si bien que jusqu’à leur mort elles ont vécu ensemble dans la plus tendre intimité ; la duchesse de Villeroy savoit tout par Mme d’O, et par la maréchale de Cœuvres qui étoit raffolée d’elle, et qui étoient les confidentes et quelque chose de plus ; la duchesse de Lorges, ma belle-sœur, ne l’étoit guère moins et tous les soirs me contoit tout ce qu’elle avoit vu et appris dans la journée ; j’étois donc instruit exactement et pleinement d’une journée à l’autre. Outre que rien ne me divertissoit davantage, les suites pouvoient être grandes, et il étoit important pour