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Son mari, qui à la fin s’en aperçut, lui demanda à quoi elle rêvoit si fort, et la poussa même du coude pour l’engager à lui répondre. Elle lui montra ce qu’elle considéroit, et lui dit qu’il y avoit bien des siècles avant Luther et Calvin que toutes ces figures de saints avoient été faites à ce portail, que cela prouvoit qu’on invoquoit donc alors les saints ; que l’opposition de leurs réformateurs à cette opinion si ancienne étoit une nouveauté ; que cette nouveauté lui rendoit suspects les autres dogmes qu’ils leur enseignoient contraires à l’antiquité catholique ; que ces réflexions qu’elle n’avoit jamais faites lui donnoient beaucoup d’inquiétude et lui faisoient prendre la résolution de chercher à s’éclaircir. Chardon trouva qu’elle avoit raison, et dès ce même jour ils se mirent à chercher la vérité, puis à consulter, enfin à se faire instruire. Cela dura plus d’un an, pendant lequel les parties et les amis de Chardon se plaignoient qu’il ne travailloit plus, et qu’on ne pouvoit plus le voir ni sa femme. Enfin secrètement instruits et pleinement persuadés, ils se déclarèrent tous deux, ils firent une abjuration nouvelle, et tous deux ont passé depuis une longue vie dans la piété et les bonnes œuvres, surtout dans un zèle ardent de procurer à leurs anciens frères de religion la même grâce qu’ils avoient reçue. Mme Chardon s’instruisit fort dans la controverse, elle convertit beaucoup de huguenots. Le comte d’Auvergne l’attira chez sa femme. L’une et l’autre avoient de l’esprit et de la douceur. La comtesse la vit volontiers, Mme Chardon en profita, elle en fit une très bonne catholique.

Tous les Bouillon, outrés de ce mariage, l’avoient reçue fort froidement ; sa vertu, sa douceur, ses manières à la fin les charma. Elle devint le lien du père et des enfants, et elle s’acquit le cœur et l’estime d’eux tous et de tout ce qui la connut particulièrement, dont elle fut extrêmement regrettée.

Le prince d’Espinoy ne le fut pas tant à beaucoup près. Il mourut de la petite vérole à Strasbourg, par l’opiniâtreté