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raison le détermina donc à suivre le conseil de Vaudemont.

L’évêque de Tortone les maria dans Tortone publiquement, en présence de la duchesse d’Elbœuf et du prince et de la princesse de Vaudemont.

Ce beau mariage, tant poursuivi : par les Lorrains, tant fui par M. de Mantoue, fait avec tant d’indécence, et refoit après pour la sûreté de l’état de Mlle d’Elbœuf, n’eut pas des suites heureuses. Soit dépit de s’être laissé acculer à épouser malgré lui, soit caprice ou jalousie, il renferma tout aussitôt sa femme avec tant de sévérité, qu’elle n’eut permission de voir qui que ce fût, excepté sa mère, encore pas plus d’une heure par jour, et jamais seule, pendant les quatre ou cinq mois qu’elle demeura avec eux. Ses femmes n’entroient chez elle que pour l’habiller et la déshabiller précisément. Il fit murer ses fenêtres fort haut et la fit garder à vue par de vieilles Italiennes.

Ce fut donc une cruelle prison. Ce traitement, auquel je ne m’attendois pas, et le peu de considération, pour ne pas dire le mépris, qu’on témoigna ici à ce prince toujours depuis son départ, me, consolèrent beaucoup de l’invincible opiniâtreté de la duchesse de Lesdiguières. J’eus pourtant peine à croire que, prise de son choix, elle eût essuyé les mêmes duretés, ni lui les traitements qu’il reçut, s’il n’eût pas fait un mariage auquel le roi se montra si contraire.

Six mois après, Mme d’Elbœuf, outrée de dépit, mais trop glorieuse pour le montrer, revint, remplie, à ce qu’elle affectoit, des grandeurs de son gendre et de sa fille, ravie pourtant au fond d’être défaite d’une charge devenue si pesante. Elle déguisa les malheurs de sa fille jusqu’à s’offenser qu’on dît et qu’on crût ce qui en étoit, et ce qui en revenoit par toutes les lettres de nos armées. Mais à la fin, Lorraine d’alliance non de naissance, le temps et la force de la vérité les lui fit avouer. Fin rare, et qui montra bien tout l’art et l’ascendant des Lorrains, elle ne fut pas moins bien traitée après ce voyage que si elle n’eût rien fait que de la volonté du roi.