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en attendant les récompenses qu’on lui préparoit en Angleterre.

Pendant ce glorieux repos nos maréchaux avoient repassé le Rhin et s’étoient avancés sur Haguenau. Tout leur faisoit craindre le siège de Landau. Le maréchal de Villeroy ne se crut pas en état de s’y opposer ; il se contenta de le munir de tout le nécessaire pour un long siège, et d’y faire entrer, outre la garnison, huit bataillons, un régiment de cavalerie et un de dragons sous Laubanie, gouverneur, chargé de le défendre. Rien n’étoit pareil à la rage des officiers de cette armée.

J’avois reçu depuis peu une lettre du duc de Montfort, qui étoit fort de mes amis, qui me mandoit qu’à son retour il vouloit casser son épée et se faire président à mortier. Il avoit toujours été de l’armée du maréchal de Villeroy. Sa lettre me parut si désespérée qu’avec un courage aussi bouillant que le sien, je craignis qu’il ne fît quelque folie martiale, et lui mandai qu’au moins je le conjurois de ne se pas faire tuer à plaisir. Il sembla que je l’avois prévu. Il fallut envoyer un convoi d’argent à Landau ; on fit le détachement pour le conduire. Il en demanda le commandement au maréchal de Villeroy, qui lui dit que cela étoit trop peu de chose pour en charger un maréchal de camp. Peu après il se fit refuser encore ; à une troisième [fois] il l’emporta de pure importunité. Il jeta son argent dans Landau sans aucun obstacle. Au retour, et marchant à la queue de son détachement, il vit des hussards qui voltigeoient ; le voilà à les vouloir courre et faire le coup de pistolet comme un carabin. On le retint quelque temps, mais enfin il s’échappa sans être suivi que de deux officiers. Ces coquins caracolèrent, s’enfuirent, s’éparpillèrent, se rapprochèrent ; et l’ardeur poussant le duc de Montfort sur eux, il s’en trouva tout à coup enveloppé, et aussitôt culbuté d’un coup de carabine qui lui fracassa les reins, et qui ne lui laissa le temps que d’être emporté comme on put, de se confesser avec de