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défaits. Qu’elles n’eussent laissé que peu d’intervalle entre elles et le ruisseau pour les attaquer demi-passés, s’ils l’osaient entreprendre, ils étoient sûrement battus et culbutés dedans. Qu’elles eussent au moins pris un terrain où le vaste laissoit le choix libre, qui ne mît pas une large et longue fondrière entre les deux lignes de Tallard, encore auroient-elles eu au moins partie égale. Qu’on n’eût pas pris vingt-six bataillons et douze escadrons de dragons de cette armée pour mettre dedans et autour d’un village, pour appuyer la droite qu’on étoit maître de mettre tout près de là au Danube, on n’auroit pas affaibli cette armée, qui tenoit lieu d’aile droite, à être enfoncée, et le centre, qui étoit celle de l’électeur, à être pris en flanc. Qu’au moins une armée entière, établie dans ce village de Bleinheim, eût eu le courage de s’y défendre, elle eût donné le temps à l’armée de Marsin qui faisoit la gauche, qui étoit entière, qui avoit toujours battu, de profiter du temps et de l’occupation qu’auroit donnée ce village, de se rallier aux deux tiers de l’armée de l’électeur qui soutenoit encore, et à la faveur d’une défense de vingt-six bons bataillons et de douze escadrons de dragons, d’y porter la bataille et tout l’effort des armes qui peut-être eût été heureux. Mais il était écrit que la honte, les fautes, le dommage seroient extrêmes du côté du roi, et que toutes seroient comblées par le tournoiement de tête de la dernière faute, en abandonnant la Bavière si aisée à tenir, avec ses places, sa volonté, son abondance, par une armée entière qui n’avoit rien souffert, et par le débris des deux autres, en prenant des postes avantageux. En vain l’électeur ouvrit-il cet avis, la peur ne crut trouver de salut qu’à l’abri de l’armée du maréchal de Villeroy ; et, quand la jonction fut faite, au lieu de profiter de ce que les passages étoient encore libres, et de ramener cette armée toute fraîche avec eux en Bavière, où tous ensemble se seroient trouvés aussi forts que devant la bataille, et plus frais que les ennemis qui avoient combattu, car il étoit resté peu de troupes avec le