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que subsister. Sa fortune alloit devant tout ; mais, foncièrement avare, l’amour du bien suivoit immédiatement en lui. Il fit sa cour à Law qu’il séduisit par son esprit. La mère du vieux Lassay étoit Vipart ; il étoit très bien avec son fils, qui depuis bien des années disposoit du cœur, de l’esprit, de la conduite et de la maison de Mme la Duchesse. Mme la Duchesse, en cela seulement, une avec M. le Duc, étoit tout système. Law, après M. le duc d’Orléans, avoit mis ses espérances en la maison de Condé, dont l’avidité héréditaire se gorgea de millions par le dévouement de ce Law.

Silly s’y fraya accès par Lussé, qui étoit la voie exquise auprès de Mme la Duchesse. Il y devint bientôt un favori important sous la protection du véritable, et se gorgea en sous-ordre. M. le Duc, devenu premier ministre, ne put refuser à sa mère quelques colliers de l’ordre dans la nombreuse promotion de 1724, où il fourra tant de canailles. Silly en eut un, que Mme la Duchesse arracha avec peine. Il avoit attrapé de M. le duc d’Orléans une place de conseiller d’État d’épée. Alors riche et décoré, il revêtit le seigneur.

Cette fortune inespérable ne fit que l’exciter à la combler. Rien ne lui parut au-dessus de son mérite. Morville, secrétaire d’État des affaires étrangères, en fut ébloui. Silly le domina. Il devint son conseil pour sa conduite et pour les affaires. Une position si favorable à son ambition lui donna d’idée de l’ambassade d’Espagne, d’y être fait grand, de revenir après dans le conseil comme un homme déjà imbu des affaires, de se faire duc et pair ; et de là tout ce qu’il pourroit. Ce fut un château en Espagne et le pot au lait de la bonne femme. M. le Duc fut remercié, et Morville congédié.

Un grand homme ne s’abandonne pas soi-même. Silly comprit avec tout le monde que M. de Fréjus, incontinent après cardinal Fleury, étoit tout seul le maître des grâces et des affaires, et Chauvelin sous lui. C’étoit pour lui deux visages tout nouveaux, à qui il étoit très inconnu. L’opinion qu’il avoit de soi le persuada qu’avec un peu d’art et de patience