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remercier le roi qui venoit de le faire brigadier. Silly, qui n’en étoit pas à portée, eut la présence d’esprit de cacher sa surprise. Il se douta de la méprise entre lui et Silly des dragons, mais il compta en tirer parti, et alla remercier le roi, sortant de chez Mme de Maintenon pour aller souper. Le roi, bien étonné de ce remerciement, lui dit qu’il n’avoit pas songé à le faire.

L’autre, sans se démonter, allégua ce que Chamillart lui venoit de dire, et de peur d’une négative qui allât à l’exclusion, se dérobe dans la foule, va trouver Chamillart, et s’écrie qu’après avoir remercié sur sa parole, il n’a plus qu’à s’aller pendre s’il reçoit l’affront de n’être pas brigadier. Chamillart, honteux de sa méprise, crut qu’il y alloit du sien de la soutenir. Il l’avoua au roi dès le lendemain, et tout de suite fit si bien que Silly demeura brigadier. Il s’attacha le plus qu’il put à M. le prince de Conti et à ceux qu’il voyoit le plus. C’étoit alors le bon air comme il l’a été toujours, et Silly n’y étoit pas indifférent. Il tourna le maréchal de Villeroy ; ses grandes manières et ses hauteurs le rebutèrent. Il trouva mieux son compte avec l’esprit, le liant et la coquetterie de Tallard, qui se vouloit faire aimer jusque des marmitons. Faits prisonniers ensemble, Tallard, fort en peine de soi à la cour, crut n’y pouvoir envoyer un meilleur chancelier que Silly. Il le servit si bien qu’on en verra bientôt des fruits. Mais au retour, je ne sais ce qui arriva entre eux. Ils se brouillèrent irréconciliablement, apparemment sur des choses qui ne faisoient honneur à l’un ni à l’autre, puisque chacun d’eux a tellement gardé le secret là-dessus, que leurs plus intimes amis n’y ont pu rien deviner, et que la cause de cette rupture, tous deux l’ont emportée en l’autre monde, même le survivant des deux qui fut Tallard, et qui n’avoit rien à craindre d’un mort qui ne laissoit ni famille ni amis.

Le roi mort, Silly fit un moment quelque figure dans la régence ; mais, peu content de n’être d’aucun conseil, il se tourna aux richesses. Il étoit né fort pauvre, et n’avoit pu