Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/320

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curieuse diversion à une matière aussi désagréable dont les suites se reprendront après.

Silly, du nom de Vipart, étoit un gentilhomme de Normandie des plus minces qu’il y eût, entre Lisieux et Séez, et en biens et en naissance. C’étoit un grand garçon, parfaitement bien fait, avec un visage agréable et mâle, infiniment d’esprit, et l’esprit extrêmement orné ; une grande valeur et de grandes parties pour la guerre ; naturellement éloquent avec force et agrément ; d’ailleurs d’une conversation très aimable ; une ambition effrénée, avec un dépouillement entier de tout ce qui la pouvoit contraindre, ce qui faisoit un homme extrêmement dangereux, mais fort adroit à le cacher, appliqué au dernier point à s’instruire, et ajustant tous ses commerces, et jusqu’à ses plaisirs, à ses vues de fortune. Il joignoit les grâces à un air de simplicité qui ne put se soutenir bien longtemps, et qui, à mesure qu’il crût en espérance et en moyens, se tourna en audace. Il se lia tant qu’il put avec ce qu’il y avoit de plus estimé dans les armées, et avec la plus brillante compagnie de la cour. Son esprit, son savoir qui n’avoit rien de pédant, sa valeur, ses manières plurent à M. le duc d’Orléans. Il s’insinua dans ses parties, mais avec mesure, de peur du roi, et assez pour plaire au prince, qui lui donna son régiment d’infanterie. Un hasard le fit brigadier longtemps avant son rang, et conséquemment lieutenant général de fort bonne heure.

Silly, colonel de dragons, dès lors fort distingué, et qui depuis a pensé, et peut-être auroit dû être maréchal de France, fut fait brigadier dans cette promotion immense, où je ne le fus point, et qui me fit quitter le service, comme je l’ai dit en son temps. Chamillart arrivoit dans la place de secrétaire d’État de la guerre. C’étoit la première promotion de son temps ; il ne connoissoit pas un officier. Sortant de chez Mme de Maintenon, où la promotion s’étoit faite à son travail ordinaire, il rencontre Silly et lui dit d’aller