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Par ce courrier, le roi apprit que la bataille donnée le 13 avoit duré depuis huit heures du matin jusque vers le soir ; que l’armée entière de Tallard étoit tuée ou prise ; qu’on ne savoit ce que ce maréchal étoit devenu ; aucune lettre ne le disoit, ni n’expliquoit si l’électeur et le maréchal de Marsin avoient été à l’action. Il y en avoit de Blansac, de Hautefeuille de Montpéroux, du chevalier de Croissy et de Denonville, mais sans aucun détail, et de gens éperdus. Dans cette terrible inquiétude, le roi ouvrit ces lettres, il trouva quelque chose de plus dans celle de Montpéroux, mais pourtant sans détail : il écrivoit à sa femme, qu’il appeloit sa chère petite Palatine. Quand le roi, longtemps après, fut éclairci, il demanda au maréchal de Boufflers ce que c’étoit que ce petit nom de tendresse dont il n’avoit jamais ouï parler. Le maréchal lui apprit que le nom propre de Montpéroux étoit Palatin de Dio. Il auroit pu ajouter que Palatin étoit un titre familier dans ces provinces de Bourgogne et voisines, resté en nom propre après avoir été des concessions des empereurs ; ainsi c’étoit palatin, ou sous un titre plus éminent, seigneur de Dio.

Le roi demeura six jours dans cette situation violente de savoir tout perdu en Bavière, et d’ignorer le comment. Le peu de gens dont il arriva des lettres se contentoient de mander de leurs propres nouvelles, tout au plus de quelques amis. Personne n’étoit pressé de raconter le désastre. On craignoit pour ses lettres, et on n’osoit s’y expliquer sur les choses ni sur les personnes. Marsin, tout occupé de sa retraite, se contenta de donner de ses nouvelles au maréchal de Villeroy, uniquement relatives à cet objet. L’électeur, outré de ses pertes et de la contradiction qu’il avoit trouvée à son avis de demeurer dans son pays, n’écrivit au roi que deux mots de respect et de fermeté dans son alliance, en passant le Rhin ; tellement qu’on n’apprenoit rien que par lambeaux, et rares et médiocres, qui ne faisoient qu’augmenter l’inquiétude sur la chose générale et