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du pont de Strasbourg, et le prince Eugène dans ses lignes de Stolhofen, faisant contenance de vouloir passer le Rhin.

L’électeur passa de sa personne de Strasbourg à Metz, d’où il gagna Bruxelles, tout droit comme il put. Il auroit fort voulu aller voir le roi, mais cette triste entrevue ne fut pas du goût de Sa Majesté, quoique ce prince, dans l’intervalle de la bataille à son passage du Rhin, eût refusé des propositions fort avantageuses, s’il avoit voulu abandonner son alliance. Il vit l’électrice et ses enfants en passant à Ulm, leur donna ses instructions avec beaucoup de courage et de sang-froid, et les renvoya à Munich pour s’y soutenir, avec ce qu’il laissoit de ses troupes, le plus longtemps qu’il seroit possible. Blainville, Zurlauben, lieutenants généraux, furent tués et beaucoup d’autres, les prisonniers furent infinis. Labaume, fils aîné de Tallard, survécut peu de jours à sa blessure. Le duc de Marlborough, qui avoit tout fait avec son armée, garda le maréchal de Tallard et les officiers les plus distingués qu’il envoya à Hanau, jusqu’à ce qu’il fût temps pour lui de passer en Angleterre, pour en orner son triomphe. De tous les autres, il en donna la moitié au prince Eugène. Ce fut pour eux une grande différence. Celui-ci les traita durement ; le duc de Marlborough avec tous les égards, les complaisances, les politesses les plus prévenantes en tout, et une modestie peut-être supérieure à sa victoire. Il eut soin que ce traitement fût toujours le même jusqu’à leur passage avec lui, et le commun des prisonniers qu’il se réserva reçut par ses ordres tous les ménagements et toutes les douceurs possibles.

Le roi reçut cette cruelle nouvelle le 21 août par un courrier du maréchal de Villeroy, à qui les troupes laissées par le prince Eugène sous le comte de Nassau-Weilbourg dans leurs lignes de Stolhofen, envoyèrent un trompette, avec des lettres de plusieurs de nos officiers prisonniers à qui ou avoit permis de donner de leurs nouvelles à leurs familles.