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espérer ; qu’il feroit donc mieux d’accepter une capitulation, en se rendant tous prisonniers de guerre, que de faire périr tant de braves gens et de si bonnes troupes de part et d’autre, puisqu’à la fin il faudroit bien que le plus petit nombre fût accablé par le plus grand. Blansac voulut le renvoyer tout court ; mais sur ce que l’Anglois le pressa de s’avancer avec lui sur parole jusqu’à deux cents pas de son village pour voir de ses yeux la vérité de la défaite de l’armée électorale de sa retraite et des préparatifs pour l’attaquer, Blansac y consentit. Il prit avec lui Hautefeuille, mestre de camp général des dragons, et ils s’avancèrent avec ce milord. Leur consternation fut grande lorsque par leurs yeux ils ne purent douter de la vérité de tout ce que cet Anglois venoit de leur dire. Ramenés par lui dans Bleinheim, Blansac assembla les officiers principaux à qui il rendit compte de la proposition qui leur étoit faite, et de ce que, par ses propres yeux et ceux d’Hautefeuille, il venoit de voir. Tous comprirent combien affreuse seroit pour eux la première inspection de leur reddition prisonniers de guerre ; mais, tout bien considéré, celle de leur situation les frappa davantage, et ils conclurent tous à accepter la proposition qui leur étoit faite, en prenant les précautions qu’ils purent pour conserver au roi ces vingt-six bataillons et les douze escadrons de dragons, par échange ou par rançon, pour leur traitement et leurs traites. Cette horrible capitulation fut donc tout aussitôt jetée sur le papier et signée de Blansac, des officiers généraux et de tous les chefs de corps, hors de celui, je crois, de Navarre, qui fut le seul qui refusa, et tout aussitôt exécutée.

Cependant Marsin, qui avoit toujours non seulement soutenu mais repoussé le prince Eugène avec avantage, averti de la déroute de l’armée de Tallard et d’une grande partie de celle de l’électeur, découverte et entraînée par l’autre, ne songea plus qu’à profiter à l’intégrité de la sienne pour faire une retraite et recueillir tout ce qu’il pourroit de ses