Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/314

Cette page n’a pas encore été corrigée

soldats en avoient pris l’alarme et commençoient à la communiquer à d’autres, lorsqu’ils virent revenir Denonville, qui avoit été pris à cette grande attaque du village dont j’ai parlé, et qui étoit accompagné d’un officier qui, le mouchoir en l’air, demandoit à parler sur parole.

Denonville étoit un jeune homme, alors fort beau et bien fait, fils aîné du sous-gouverneur de Mgr le duc de Bourgogne, et colonel du régiment Royalinfanterie, que la faveur de ce prince un peu trop déclarée avoit rendu présomptueux et quelquefois audacieux. Au lieu de parler, au moins en particulier à Blansac et aux autres officiers principaux, puisqu’il avoit fait la folie de se charger d’une mission si étrange, Denonville, dis-je, qui avoit de l’esprit, du jargon, et grande opinion de lui-même ; se mit à haranguer les troupes qui bordoient le village pour leur persuader de se rendre prisonniers de guerre, pour se conserver pour le service du roi. Blansac, qui vit l’ébranlement que ce discours causoit dans les troupes, le fit taire avec la dureté que son propos méritoit, le fit retirer et se mit à haranguer au contraire ; mais l’impression étoit faite, il ne tira d’acclamations que du seul régiment de Navarre, tout le reste demeura dans un triste silence. J’avertis toujours que c’est d’après Blansac que je parle.

Quelque peu de temps après que Denonville et son adjoint furent retournés aux ennemis, revint de leur part un milord, qui demanda à parler au commandant sur parole. Il fut conduit à Blansac, auquel il dit que le duc de Marlborough lui mandoit qu’il étoit là avec quarante bataillons et soixante pièces de canon, maître d’y faire venir de plus tout ce qu’il voudroit de troupes ; qu’il commençoit à l’environner de toutes parts ; que le village n’avoit plus rien derrière soi pour le soutenir ; que l’armée de Tallard étoit en fuite, et ce qui restoit ensemble de celle de l’électeur étoit en marche pour se retirer ; que Tallard même et force officiers généraux étoient pris ; que Blansac n’avoit aucun secours à