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dépensé si mal à propos en fêtes dans les conjonctures où on était.

La grande alliance avoit grande raison de tout craindre pour l’empereur, et de porter toutes ses forces à sa défense. Les mécontents, devenus maîtres d’Agria et de toute l’île de Schutt une deuxième fois depuis l’avoir abandonnée, n’avoient pu en être chassés ; le comte Forgatz, à la tête de trente mille hommes entré en Moravie, y avoit défait quatre mille Danois et six mille hommes des pays héréditaires, leur avoit tué deux mille hommes, pris toute leur artillerie et leurs bagages, et acculé le général Reizthaw, Danois, qui les commandoit, dans un château. Le même Forgatz défit ensuite le général Heister avec tout ce qu’il avoit pu rassembler de troupes pour s’opposer à eux et couvrir Vienne, où la consternation et la frayeur furent extrêmes. Que n’avoit-on point à espérer dans une conjoncture si singulièrement heureuse, pour peu que les armées des maréchaux de Marsin et de Tallard jointes à celle de l’électeur de Bavière eussent eu le moindre des succès que promettoient tant de forces unies au cœur de l’Allemagne, avec l’armée du maréchal de Villeroy en croupe ! On va voir ce que peut la conduite et la fortune, ou pour mieux dire la Providence, qui se joue de l’orgueil et de la prudence des hommes, et qui dans un instant relève et atterre les plus grands rois.

Tallard arriva à Ulm le 28 août[1], et y séjourna deux jours pour laisser reposer son armée ; l’amena le 2 août sous Augsbourg, et joignit le 4 l’électeur et le maréchal de Marsin. Dès lors l’électeur étoit poussé par Blainville, à qui les mains démangeoient d’autant plus qu’avec les grandes parties de guerre qu’il avoit fait voir durant celle-ci et la considération singulière qu’il s’étoit acquise, il n’espéroit rien moins que le bâton d’une action heureuse, porté par son

  1. Saint-Simon a écrit 28 août pour 28 juillet.