Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/305

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et ce qui n’est pas moins dire, plus d’esprit, qu’eux tous avec ce même tour, que nul autre n’a attrapé qu’eux, ou avec eux par une fréquentation continuelle, et qui se sent si promptement, et avec tant de plaisir. Avec cela très savante, même bonne théologienne, avec un esprit supérieur pour le gouvernement, une aisance et une facilité qui lui rendoit comme un jeu le maniement de tout son ordre et de plusieurs grandes affaires qu’elle avoit embrassées, et où il est vrai que son crédit contribua fort au succès ; très régulière et très exacte, mais avec une douceur, des grâces et des manières qui la firent adorer à Fontevrault et de tout son ordre. Ses moindres lettres étoient des pièces à garder, et toutes ses conversations ordinaires, même celles d’affaires ou de discipline, étoient charmantes, et ses discours en chapitre les jours de fête, admirables. Ses sœurs l’aimoient passionnément, et malgré leur impérieux naturel gâté par la faveur au comble, elles avoient pour elle une vraie déférence. Voici le contraste. Ses affaires l’amenèrent plusieurs fois et longtemps à Paris. C’étoit au fort des amours du roi et de Mme de Montespan.

Elle fut à la cour et y fit de fréquents séjours, et souvent longs. À la vérité elle n’y voyoit personne, mais elle ne bougeoit de chez Mme de Montespan, entre elle et le roi Mme de Thianges et le plus intime particulier. Le roi la goûta tellement qu’il avoit peine à se passer d’elle. Il auroit voulu qu’elle fût de toutes les fêtes de sa cour, alors si galante et si magnifique. Mme de Fontevrault se défendit toujours opiniâtrement des publiques, mais elle n’en put éviter de particulières. Cela faisoit un personnage extrêmement singulier.

Il faut dire que son père la força à prendre le voile et à faire ses veaux, qu’elle fit de nécessité vertu, et qu’elle fut toujours très bonne religieuse. Ce qui est très rare, c’est qu’elle conserva toujours une extrême décence personnelle dans ces lieux et ces parties où son habit en avoit si peu. Le roi eut pour elle une estime, un goût, une amitié que l’éloignement de Mme de Montespan