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ou la cavalerie et l’infanterie de part et d’autre agit tout à fait séparément.

Cette attaque de la montagne, conduite par Desbordes, lieutenant général, qui avoit été gouverneur de Philippsbourg, et qui y fut tué, ne put l’être qu’avec quelque désordre par les coupures et la raideur de la montagne, tellement que les troupes, essoufflées et un peu rompues en arrivant, ne purent soutenir une infanterie ensemble et reposée, qui leur fit perdre du terrain et regagner le bas avec plus de désordre qu’elles n’avoient monté.

Avec les dispositions tout cela prit du temps, de manière que Villars, qui était demeuré au bas de la montagne et avoit perdu de vue sa cavalerie entière qui étoit alors à demi lieue de lui après celle de l’empereur, crut la bataille perdue, et perdit lui-même la tramontane, sous un arbre où il s’arrachoit les cheveux de désespoir, lorsqu’il vit arriver Magnac, premier lieutenant général de cette armée, qui accouroit seul au galop avec un aide de camp après lui.

Alors Villars, ne doutant plus que tout ne fût perdu, lui cria : « Eh bien ! Magnac, nous sommes donc perdus ?  » À sa voix, Magnac poussa à l’arbre, et bien étonné de voir Villars en cet état : « Eh, lui dit-il, que faites-vous donc là et où en êtes-vous ? ils sont battus et tout est à nous. » Villars à l’instant recogne ses larmes, court avec Magnat à l’infanterie qui combattoit celle des ennemis qui l’avoit suivie du haut de cette petite montagne, criant tous deux victoire. Magnat avoit mené la cavalerie, avoit battu et poursuivi l’impériale près de demi lieue jusqu’à ces six bataillons frais qui l’avoient protégée, mais qui n’ayant pu soutenir la furie de nos escadrons, s’étoient retirés peu à peu avec les débris de la cavalerie impériale, et Magnac alors, n’ayant plus à les pousser dans les défilés qui se présentoient, inquiet de notre infanterie dont il n’avoit ni vent ni nouvelles, étoit revenu de sa personne la chercher et voir ce qu’il s’y passoit, enragé de ne l’avoir pas à portée de ces défilés pour achever sa victoire,