Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée

patente, le caractère et les appointements de général d’armée sans que le roi s’en pût dédire. C’est aussi ce qui s’exécuta de la sorte. Après ce qu’on avoit fait pour lui et la situation et la conjoncture où il se trouvoit, le roi, obsédé de son ministre, ne put reculer et ne voulut pas même le laisser apercevoir qu’il en eût envie. La Feuillade succéda donc en tout à Tessé dans les parties du Dauphiné, de la Savoie et des vallées. Il falloit en profiter pour, de ce chausse-pied, aller à mieux et en attendant faire parler de soi. Il alla donc former le siège de Suse, d’où il envoya force courriers. Le fort de la Brunette pensa lui faire abandonner cette place. Il ne manqua pas de jouer sur le mot avec un air de galanterie militaire que son beau-père sut faire valoir. Ce fort pris, Bernardi, gouverneur de Suse, se défendit si mal qu’il capitula le 16 juin, sans qu’il y eût aucune brèche, ni même qu’il pût y en avoir sitôt. Le chevalier de Tessé en apporta la nouvelle. Cette honnêteté étoit bien due à la complaisance de son père. L’exploit fut fort célébré à la cour, après lequel ce nouveau général d’armée se tourna à de nouveaux, mais ce ne fut que contre les barbets[1] des vallées. Il ne fallut pas demeurer oisif, mais peloter en attendant partie, et se conserver cependant en exercice de général d’armée pour le devenir plus solidement.

En même temps, en ce mois de juin, Phélypeaux arriva de Turin et salua le roi, qui aussitôt l’entretint longtemps dans son cabinet. C’étoit un grand homme bien fait, de beaucoup d’esprit et de lecture, naturellement éloquent, satirique, la parole fort à la main, avec des traits et beaucoup d’agrément, et quand il le vouloit de force. Il mit ces talents en usage, et sans contrainte, pour se plaindre de tout ce qu’il avoit souffert les six derniers mois qu’il avoit demeuré en Piémont, ou à Turin, ou à Coni, où il fut gardé

  1. Les barbets étaient les Vaudois du Piémont. Ils tiraient, dit-on, leur nom de ce qu’ils avaient pour chefs des ministres, qu’ils appelaient barbes ou anciens.