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mit en fureur Mme de Maintenon, et le roi si en colère, que le duc de Grammont fut plusieurs jours sans oser se présenter devant lui. Il lui envoya défendre de laisser porter ni prendre à sa femme aucune marque ni aucun rang de duchesse en quelque lieu que ce fût, et d’approcher jamais de la cour, surtout de ne s’aviser pas de lui laisser mettre le pied en Espagne.

L’ambassade étoit déclarée depuis le mariage (ce ne fut que depuis l’ambassade que cette folie de comparaison et d’en faire sa cour avoit eu lieu, sous prétexte de faire prendre son tabouret à cette créature, et de la mener après en Espagne) ; quelque dépit qu’en eussent conçu le roi et Mme de Maintenon, il n’y eut pas moyen d’ôter l’ambassade, cela eût trop montré la corde ; mais l’indignation n’y perdit rien. Il n’y avoit que le duc de Grammont au monde capable d’imaginer de plaire par une si odieuse comparaison. Il étoit infatué de cette créature qui le mena par le nez tant qu’il vécut ; il était naturel qu’elle pensât en servante de son état, qu’elle voulût faire la duchesse, et que tout lui parût merveilleux pour y parvenir. Elle mit donc cette belle invention dans la tête de son mari, qui s’en coiffa aussitôt comme de tout ce qui venoit d’elle, et qui même après le succès ne put se déprendre de la croire aveuglément sur tout.

Il eut défense expresse de voir la princesse des Ursins, qu’il devoit rencontrer sur sa route. Quelque peu écoutée qu’elle pût espérer d’être à Versailles, dans ces moments si proches de la foudre qui en étoit partie et qui l’écrasoit, son courage ne l’y abandonna pas plus qu’à Madrid. Tout passe avec le temps dans les cours, même les plus terribles orages, quand on est bien appuyé et qu’on sait ne pas s’abandonner au dépit et aux revers. Mme des Ursins, s’avançant toujours à lents tours de roue, ne cessoit d’insister sur la permission de venir se justifier à la cour. Ce n’étoit pas qu’elle osât l’espérer, mais à force d’instances et de cris d’éviter l’Italie, et d’obtenir un exil en France, d’où avec le