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et n’oublia rien qui pût persuader qu’elle et la princesse ne seroient jamais qu’une. Elle l’avoit persuadée aussi que son éloignement, pour peu qu’il durât, seroit la fin de son autorité et le commencement de ses malheurs. Ainsi elle se pleuroit ellemême en pleurant cette séparation. On crut que d’Alcala elle avoit été plus d’une fois à Madrid, ce qui étoit très possible. Enfin au bout de cinq semaines d’opiniâtre séjour en ce lieu, toutes ses trames bien ourdies et bien assurées, avec une présence d’esprit qui ne se peut trop admirer dans ce court espace si traversé de dépit, de rage, de douleur, et dans l’accablement d’une si profonde chute, elle s’avança vers Bayonne aux plus petites journées et aux plus fréquents séjours qu’elle put et qu’elle osa.

Cependant le successeur de l’abbé d’Estrées étoit nommé, qui ne surprit pas peu tout le monde. Ce fut le duc de Grammont qui avoit pour lui son nom, sa dignité et une figure avantageuse, mais rien de plus ; fils du maréchal de Grammont si adroit à être et à se maintenir bien avec tous les personnages, par là à se faire compter de tous, surtout à ne se pas méprendre sur ceux qui devoient demeurer les maîtres des autres. Sans se détacher de personne, et néanmoins sans se rendre suspect, il étoit parvenu à la plus grande fortune et à la première considération par son intimité avec les cardinaux de Richelieu et Mazarin, dont il eut la confiance toute leur vie, conséquemment du dernier, l’amitié et la confiance de la reine et du roi son fils ; en même temps il sut s’acquérir celle de Gaston et celle de M. le Prince, qui eut toujours et dans tous les temps une sorte de déférence pour lui qui ne se démentit point. Ce fut lui qui fut chargé d’aller faire la demande de la reine, qu’il exécuta avec tant de magnificence et de galanterie, puis de l’ambassade pour l’élection de l’empereur Léopold avec M. de Lyonne. Les folies galantes de son fils aîné, le comte de Guiche, devinrent la douleur de sa vie, qui ôtèrent le régiment des gardes de sa famille, où il l’avoit mis, et qu’il ne