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été chercher ses ennemis jusqu’en Lombardie, et ayant son compétiteur en personne dans le continent des Espagnes, il seroit honteux et indécent qu’il ne se mît pas à la tête de son armée contre lui. Il le soutint fortement dans cette résolution, et il s’opposa nettement à ce qu’il se fît accompagner de la reine, dont l’embarras et la dépense seroient préjudiciables. Il rompit donc le voyage de la reine, qui demeura à Madrid, et pressa si bien le départ du roi son petit-fils, qu’il parut à la tête de son armée à la mi-mars, où l’abbé d’Estrées eut ordre de l’accompagner en attendant l’arrivée de son successeur. C’étoit le point où le roi avoit voulu venir. La reine avoit un tel ascendant sur le roi son mari, et elle s’étoit si éperdument abandonnée à la princesse des Ursins, qu’il n’espéra pas être obéi sans des fracas qu’il voulut éviter en tenant le roi son petit-fils éloigné de la reine. Sitôt que cela fut exécuté, il lui écrivit sur l’éloignement pour toujours de la princesse des Ursins, d’un style à lui en persuader la nécessité pressante et le parti pris à ne rien écouter. En même temps il écrivit encore avec plus d’autorité à la reine, et envoya un ordre à la princesse des Ursins de partir incontinent de Madrid, de sortir tout de suite d’Espagne, et de se retirer en Italie.

Ce coup de foudre mit la reine au désespoir, sans accabler celle sur qui il tomboit. Elle ouvrit alors les yeux sur tout ce qui s’étoit passé depuis cette lettre apostillée ; elle sentit que tout s’étoit fait avec ordre et dessein pour la chasser pendant la séparation du roi d’Espagne et de la reine, et la vanité du triomphe dont elle s’étoit flattée quelques moments. Elle comprit qu’il n’y avoit nulle ressource pour lors ; mais elle ne désespéra pas pour un autre temps, et n’en perdit aucun à se les préparer en Espagne, d’où elle fondoit son principal secours en attendant qu’elle pût s’ouvrir quelque porte en France. Elle ne fit remuer la reine du côté des deux rois que pour gagner quelques jours. Elle les employa à donner à la reine la duchesse de Montellano