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d’un manque de respect d’une telle hardiesse, et dont le roi lui parut si offensé ; toute l’adresse d’Harcourt échoua contre cet écueil. Le parti fut donc pris de la renvoyer à Rome et de rappeler Orry ; mais l’embarras fut la crainte d’une désobéissance formelle, et que le roi d’Espagne ne pût résister aux cris que feroit la reine. Après le trait qui venoit d’arriver, les plus grandes extrémités étoient à prévoir ; et c’est ce qui fit prendre le tour de ne rien précipiter pour frapper le coup sans risque de le manquer. Le roi fit à la princesse une réprimande sévère d’une hardiesse sans exemple, qui attaquoit si directement le respect dû à sa personne et le secret qui devoit être sacré de son ambassadeur à lui. En même temps on manda à l’abbé d’Estrées cette réprimande, qu’il avoit juste occasion de se plaindre, mais rien de plus.

L’abbé d’Estrées, qui comptoit que Mme des Ursins en seroit chassée, tomba dans le désespoir quand il l’en vit quitte pour si peu de chose, et lui sans satisfaction, exposé à la haine et aux insultes de la princesse et même de la reine, et à voir cette puissance plus établie que jamais, puisqu’elle avoit échappé à une action si inouïe, tellement que, de dépit et de désespoir de ne pouvoir plus se rien promettre de l’Espagne, il demanda son congé. Il fut pris au mot, et ce fut un nouveau triomphe pour la princesse de s’être défait si scandaleusement de lui, qui avoit toute raison, et dont l’affaire étoit celle du roi même, tandis qu’elle demeuroit pleinement maîtresse, elle qui avoit eu loisir de sentir et de craindre les suites naturelles d’un emportement si audacieux. Mais en même temps que ce panneau et cette apparente victoire amusoit Mme des Ursins, le cardinal d’Estrées, autant pour la piquer que par affection pour son neveu, soutenu des ministres par le même sentiment, et des Noailles par l’amitié et la proximité de l’alliance, se servit avantageusement du rappel de l’abbé d’Estrées, sans aucun tort de sa part, après un éclat de cette nature, pour