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avec lui, et dont Puységur lui avoit rendu bon compte. Il avoit été l’âme de l’armée de Flandre ; ainsi le duc de Berwick l’avoit aussi fort courtisé et le connoissoit très particulièrement. Avec ce secours et en chargeant Puységur du détail de toutes les troupes, comme unique directeur, et du soin supérieur des magasins et des vivres, c’est-à-dire de les diriger, de les examiner et d’en disposer, le roi crut avoir pris toutes les précautions qui se pouvoient prendre pour la guerre en Espagne.

Puységur partit le premier. Il trouva tout à merveille, depuis les Pyrénées jusqu’à la hauteur de Madrid, pour la subsistance des troupes françaises, et en rendit un compte fort avantageux. Il travailla en arrivant à Madrid avec Orry, qui, papier sur table, lui montra tous ses magasins faits, tant pour la route jusqu’à la frontière de Portugal que sur la frontière même, pour la subsistance abondante de l’armée, et tout son argent prêt pour que rien ne manquât dans le courant de la campagne. Puységur, homme droit et vrai, qui avoit trouvé tout au meilleur état du monde depuis les Pyrénées, n’imagina pas qu’Orry eût pu manquer de soins pour la frontière, dans une conjoncture si décisive que celle où l’Espagne se trouvoit d’y terminer promptement la guerre avant que l’archiduc fût mieux secouru ; et beaucoup moins qu’un ministre chargé de tout eût l’effronterie de lui montrer en détail toutes ses précautions, s’il n’en avoit pris aucune. Content donc au dernier point, il manda au roi de grandes louanges d’Orry, par conséquent de Mme des Ursins et de leur bon et sage gouvernement, et donna les espérances les plus flatteuses du grand usage qui s’en pouvoit tirer. Plein de ces idées, il partit pour la frontière de Portugal pour y reconnoître tout par lui-même et y ajuster les choses suivant les projets, afin qu’il n’y eût plus qu’à exécuter à l’arrivée des troupes françaises et de leur général. Mais quelle fut sa surprise lorsque, de Madrid à la frontière, il ne trouva rien de ce qui étoit nécessaire pour la marche