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pût le renvoyer comme les autres. La princesse et Orry gouvernoient seuls, seuls étoient maîtres des affaires et des grâces, et tout se décidoit entre eux deux, souvent d’Aubigny en tiers, et la reine présente quand elle vouloit, qui ne voyoit que par leurs yeux. Le roi dont toutes les journées étoient réglées par la reine, et qui, s’il vouloit changer quelque chose à ce qui étoit convenu pour ses heures et ses amusements comme chasse, mail ou autre chose, le lui envoyoit demander par Vaset, huissier françois, dévoué à Mme des Ursins, et qui se gouvernoit par ce qu’il lui rapportoit ; le roi, dis-je, peu à peu établi dans cette dépendance, venoit les soirs chez la reine, le plus souvent chez Mme des Ursins, où il trouvoit d’ordinaire Orry et quelquefois d’Aubigny où il apprenoit ce qui avoit été résolu, et leur donnoit les mémoriaux qu’il avoit pris au conseil pour être décidés le lendemain par eux, et portés par lui ensuite au conseil, où il n’y avoit point à opiner, mais seulement à savoir pour la forme ce que Rivas recevoit du roi pour expédier.

L’abbé d’Estrées, qui depuis le départ de son oncle entroit de ce conseil, n’osoit s’y opposer à rien, et s’il avoit quelque représentation à faire, c’étoit en particulier à Mme des Ursins et à Orry, qui l’écoutoient à peine et alloient leur chemin sans s’émouvoir de ce qu’il leur pouvoit dire. La princesse régnoit ainsi en plein, et ne songeoit qu’à écarter tout ce qui pouvoit troubler ou partager le moins du monde sa puissance. Il falloit une armée sur les frontières de Portugal contre l’archiduc, par conséquent un général françois pour commander les troupes françaises, et peut-être aussi les espagnoles.

Elle avoit connu de tout temps la reine d’Angleterre qui étoit Italienne, elle l’avoit extrêmement cultivée dans les longs séjours qu’elle avoit faits à Paris, elle étoit demeurée en commerce de lettres et d’amitié avec elle ; elle imagina donc de faire donner au duc de Berwick le commandement des troupes françaises en Espagne.

Elle le connoissoit doux, souple, fort courtisan, sans aucun