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jamais guère servi ni vu de monde qu’à son point et à sa manière, et qui n’avoit jamais fait grand cas de son cousin Tallard, ni guère aussi de la cour et de la fortune. Tallard partit bientôt après vers le Rhin et Coigny sur la Moselle, commander un corps comme faisoit ordinairement M. d’Harcourt. Le maréchal de Boufflers ne servit point cette année, le roi tâcha de l’en consoler par une augmentation de deux cent mille livres de brevet de retenue sur sa charge.

J’étois allé passer la semaine sainte à la Ferté et à la Trappe, d’où je revins à Versailles le mercredi de Pâques. J’appris en arrivant le grand parti que M. le Grand venoit de tirer de la quête de sa fille. Le matin du vendredi saint, il vint trouver le roi et lui demanda avec un audacieux empressement d’aller avec ceux de sa maison à l’adoration de la croix. Les ducs y alloient de tout temps en rang d’ancienneté après le dernier prince du sang, et depuis peu d’années après les bâtards ; et après les ducs, les grands officiers de la maison du roi dans le rang de leurs charges, sans qu’aucun prince étranger y eût jamais été admis. Le roi, surpris de la demande, refusa et répondit que cela ne se pouvoit, parce que les ducs y alloient. C’est où le grand écuyer l’attendoit. Il demanda à les précéder, non qu’il l’espérât, mais pour réussir à ce qui arriva.

Le roi fut embarrassé. M. le Grand insista, appuyé sur la faiblesse qu’il connoissoit au roi pour lui, qui en sortit par lui dire que ni ducs ni princes n’iraient. En donnant l’ordre, il dit au maréchal de Noailles, capitaine des gardes en quartier, d’en avertir les ducs, qui répondit mollement, en représentant leur droit usité de tout temps. Le parti du roi étoit pris, et le peu que dit M. de Noailles, et d’un ton à peu imposer, n’étoit pas pour le faire changer. Il n’y avoit presque aucun duc à Versailles, même des plus à portée du roi, qui profitoient de ces jours de dévotions pour les leurs et pour leurs affaires. M. de La Rochefoucauld montoit en carrosse de chez le cardinal de Coislin lorsqu’on lui vint dire cette nouveauté. Il se mit à