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Je me tirai d’affaires après, avec le duc de Beauvilliers, comme Mme de Saint-Simon me l’avoit conseillé, et je trouvai qu’elle avoit eu raison. Je dis au duc que n’ayant pas eu le moment de le voir avant le dîner du roi, j’avois pris mon parti de lui parler. Il me témoigna être fort aise que cette audience se fût si bien passée, mais qu’il m’auroit conseillé de l’éviter et d’écrire dans la situation où j’étois, quoique par l’événement j’eusse beaucoup mieux fait.

Plusieurs ducs me parlèrent de cette affaire, qui fit du bruit. Rien n’égala la surprise et la frayeur de M. de Chevreuse, avec qui j’étois intimement, et à qui je contai tout ; mais quand il entendit que j’avois dit au roi que nous savions qu’il craignoit toute discussion et toute décision, il recula six pas : « Vous avez dit cela au roi, s’écria-t-il, et en propres termes ? Vous êtes bien hardi. — Vous ne l’êtes guère, lui répondis-je, vous autres vieux seigneurs, qui êtes si bien et en familiarité avec lui, et bien faibles de ne lui oser dire mot ; car s’il m’écoute moi jeune homme, point accoutumé avec lui, mal d’ailleurs avec lui, et de nouveau encore plus par ceci, et si la conversation amenée avec colère finit après de tels propos par de la bonté et des honnêtetés après qu’elle a duré tant que j’ai voulu, que seroit-ce de vous autres si vous aviez le courage de profiter de la manière dont vous êtes avec lui, et de lui dire ce qu’il lui faudroit dire, et que vous voyez que je lui dis non seulement impunément, mais avec succès pour moi !  » Chevreuse fut ravi que j’eusse parlé de la sorte, mais il en avoit encore peur ; la maréchale de Villeroy, extrêmement de mes amies, et qui avoit infiniment d’esprit et beaucoup de dignité et de considération personnelle, trouva que j’avois très bien fait et dit, et que cette conversation me tourneroit à bien. En effet, je sus par M. de Laon que le roi avoit dit à Monseigneur que je lui avois parlé avec beaucoup d’esprit, de force et de respect, qu’il étoit content de moi, que les choses étoient bien différentes de ce que M. le Grand lui avoit dit,