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droite mena assez mal celle de notre gauche, mais celle de la leur ne tint pas. Leur infanterie fit bonne contenance après sa première décharge, mais elle ne put résister à celle de Tallard, qui la chargea la baïonnette au bout du fusil avec tant de vigueur, que quantité de soldats ennemis furent tués dans les rangs et qu’ils ne purent résister. Outre ces vingt-trois bataillons qui plièrent, ils en avoient encore cinq autres qui se retirèrent sans avoir presque combattu. La victoire fut complète et surprit agréablement le maréchal de Tallard, qui étoit fort étourdi vers notre gauche à rétablir l’ébranlement qui y étoit arrivé, et qui apprit ce grand succès de notre cavalerie de la droite et de toute l’infanterie au moment qu’il n’espéroit rien moins. Il accourut à la victoire et y donna ses ordres partout. Il avoit plus de cavalerie qu’eux et un bataillon de moins. On leur prit tout leur canon, presque tous leurs drapeaux et quantité d’étendards. Le soir même Laubanie manda à Tallard, qui étoit sur le champ de bataille, que la chamade étoit battue, mais qu’il lui conseilloit de ne rien précipiter pour la capitulation. Labaume, fils du maréchal, arriva le 20 novembre, sur les cinq heures à Versailles, avec cette grande nouvelle que le roi manda aussitôt à Monseigneur, qui étoit à Paris à l’Opéra. Ce prince fit cesser les acteurs pour l’apprendre aux spectateurs. Pracontal, lieutenant général et gendre de Montchevreuil, y fut tué. C’étoit un homme fort appliqué, avec de la valeur et de la capacité, et qui auroit justement fait une fortune. Il s’étoit fort attaché au maréchal de Boufflers, et Mme de Maintenon le protégeoit particulièrement. Sa femme eut le gouvernement de Menin à vendre que Pracontal avoit acheté. Meuse, colonel de cavalerie de la maison de Choiseul, Calvo, colonel du régiment Royal infanterie et brigadier, neveu du lieutenant général et chevalier de l’ordre, garçon de beaucoup de valeur et d’entendement et fort bien voulu de tout le monde, Beaumanoir, qui venoit d’épouser une fille du duc de Noailles, y furent aussi tués