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Le roi enfin, voyant combien il y avoit peu d’apparence de laisser plus longtemps ces deux hommes ensemble, se détermina à leur donner satisfaction en les séparant, et à faire maréchal de France celui qu’il enverroit à la place de Villars, aucun de ceux qui l’étoient déjà n’y paraissant propre. C’en étoit moins la raison que le prétexte.

Chamillart, avant sa dernière grande fortune, l’avoit commencée par l’intendance de Rouen que son père avoit aussi eue. Ils y étoient devenus amis intimes des Matignon, au point que le comte de Matignon, père, longues années depuis, du duc de Valentinois, lui quitta pour rien la mouvance d’une terre qu’il avoit relevant de Thorigny, ce qui enrichit depuis Matignon sous son ministère, fit son frère maréchal de France et son fils duc et pair et gendre de M. de Monaco dans les suites. Les Matignon avoient marié leurs sœurs comme ils avoient pu. Ils étoient cinq frères et force filles, dont ils cloîtrèrent la plupart, et firent deux frères d’Église : l’un évêque de Lisieux après son oncle paternel ; l’autre de Condom, fort homme de bien, mais rien au delà. L’aîné n’eut que deux filles dont il donna l’aînée à son frère, l’autre à Seignelay, qui se remaria au comte de Marsan, et le dernier frère, qu’on appeloit Gacé, nous le verrons maréchal de France. Les deux sœurs, l’une jolie et bien faite, épousa un du Breuil, gentilhomme breton, qui portoit le nom de Nevet, dont elle ne laissa point d’enfants ; l’autre Coigny, père du maréchal d’aujourd’hui.

Coigny étoit fils d’un de ces petits juges de basse Normandie, qui s’appeloit Guillot, et qui, fils d’un manant, avoit pris une de ces petites charges pour se délivrer de la taille après s’être fort enrichi. L’épée avoit achevé de le décrasser. Il regarda comme sa fortune d’épouser la sœur des Matignon pour rien, et avec de belles terres, le gouvernement et le bailliage de Caen qu’il acheta, se fit tout un autre homme. Il se trouva bon officier et devint lieutenant général. Son union avec ses beaux-frères étoit intime, il les regardoit