Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/190

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dans cette lettre en rendent encore les raisonnements plus forts et plus piquants. Don Louis de Haro lui en eût fait sa fortune, mais les deux premiers ministres l’ignorèrent jusqu’à leur mort. Le maréchal de Créqui et Mme du Plessis-Bellière, les deux plus intimes amis de M. Fouquet, furent arrêtés en même temps que lui et leurs papiers saisis. Le maréchal, qui ne l’étoit pas encore, en fut quitte pour un court exil, que le besoin qu’on eut de lui pour commander une armée accourcit, et lui valut le bâton de maréchal de France. Mme du Plessis-Bellière n’en fut pas quitte à si bon marché. Parmi ses papiers, on en trouva du maréchal de Créqui, et parmi ceux-là cette lettre qu’il n’avoit pu se résoudre à brûler, et qui a été depuis imprimée avec les ouvrages de Saint-Évremond. Les ministres à qui elle fut portée craignirent un si judicieux censeur. M. Colbert se para de reconnoissance pour son ancien maître, M. Le Tellier le seconda. Ils piquèrent le roi sur sa jalousie du gouvernement, et sur ses sentiments d’estime et d’amitié pour la mémoire encore récente de son premier ministre. Il entra en colère et fit chercher Saint-Évremond partout, qui, averti à temps par ses amis, se cacha si bien qu’on ne put le trouver. Las enfin d’errer de lieu en lieu et de ne trouver de sûreté nulle part, il se sauva en Angleterre où il fut bientôt recherché par tout ce qu’il y avoit de plus considérable en esprit, en naissance et en places. Il employa longtemps tous ses amis pour obtenir son pardon ; la permission de revenir en France lui fut constamment refusée. Elle lui fut offerte vingt ou vingt-cinq ans après, lorsqu’il n’y songeoit plus. Il avoit eu le temps de se naturaliser à Londres ; il étoit fou de Mme Mazarin, il ne se soucioit plus de sa patrie ; il ne jugea pas à propos de changer de vie, de société, de climat, à soixante-douze ans. Il y vécut encore une vingtaine d’années en philosophe et y mourut de même avec sa tête entière et une grande santé, et recherché jusqu’à la fin comme il l’avoit été toute sa vie.