Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée

hôtesse, il s’en étoit allé dans la chambre où son frère avoit couché et y avoit tout au beau milieu poussé une magnifique selle, qui l’avoit d’autant plus soulagé qu’on ne pouvoit douter dans la maison qu’elle ne fût de celui qui avoit occupé cette chambre. Voilà le duc de Coislin outré de colère, les autres morts de rire. Mais le duc furieux, après avoir dit tout ce que le désespoir peut inspirer, crie au cocher d’arrêter, et au valet de chambre d’approcher, veut monter son cheval et retourner à l’hôtesse se laver du forfait ou accuser et déceler le coupable. Ils virent longtemps l’heure qu’ils ne pourroient l’empêcher, et il en fut plusieurs jours tout à fait mal avec son frère[1].

À un voyage que le roi fit à Nancy, il lui arriva deux aventures d’une autre espèce. Le duc de Créqui, qui n’étoit point en année, se trouva mal logé en arrivant à Nancy. Il étoit brutal et accoutumé à l’être bien davantage par l’air de faveur et d’autorité où il s’étoit mis à la cour ; il s’en alla déloger le duc de Coislin, qui, en arrivant un moment après, trouva ses gens sur le pavé, dont il apprit la cause. Les choses alors étoient sur un autre pied : M. de Créqui étoit son ancien, il ne dit mot ; mais de ce pas, il s’en va avec tous ses gens à la maison marquée pour le maréchal de Créqui, lui fait le mémé trait qu’il venoit d’essuyer de son frère et s’établit ; arrive le maréchal de Créqui, dont l’impétuosité s’alla jeter sur la maison de Cavoye, qu’il délogea à son tour, pour lui apprendre à faire les logements de manière à éviter ces cascades.

Le duc de Coislin avoit la fantaisie de ne pouvoir souffrir qu’on lui donnât le dernier, plaisanterie qui fait courre après celui qui l’a donné et qui ne passe guère la première jeunesse. M. de Longueville, en ce même lieu de Nancy où la cour séjourna quelque temps, donna le mot à deux de ses

  1. Quoique Saint-Simon ait déjà. raconté cette anecdote (t. II, p. 255), nous n’avons pas cru devoir supprimer, comme les anciens éditeurs, un récit qui présente des variantes nombreuses avec le précédent.