Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

que Mme la duchesse de Bourgogne, ni moins bien instruite. Elle se trouva née avec de l’esprit et dans cette première jeunesse avec un bon esprit sage, ferme, suivi, capable de conseil et de contrainte, et qui, déployé et plus formé dans les suites, montra une constance et un courage que la douceur et les grâces naturelles de ce même esprit relevèrent infiniment. À tout ce que j’en ai ouï dire en France, et surtout en Espagne, elle avoit tout ce qu’il falloit pour être adorée. Aussi en devint-elle la divinité. L’affection des Espagnols, qui seule et plus d’une fois a conservé la couronne à Philippe V, fut en la plus grande partie due à cette reine dont ils sont encore idolâtres, dont ils ne se souviennent encore qu’avec larmes, je dis seigneurs, dames, militaire, peuple, et où, après tant d’années qu’ils l’ont perdue, ils ne se peuvent encore consoler.

Un esprit de cette trempe, manié d’abord par un autre esprit tel qu’étoit celui de la princesse des Ursins, et sans témoins et à toute heure, étoit pour aller bien loin, comme il fit. Le voyage de Barcelone à Saragosse et de Saragosse à Madrid lui donna un grand loisir d’insinuation et d’instruction imperceptible ; et la tenue des états d’Aragon, où, pour la forme, les affaires passoient par la reine qui les tenoit, instruisit la camarera-mayor elle-même et la mit à portée d’inspirer l’amour de l’autorité et du gouvernement à la reine, et de reconnoître peu à peu ce qu’elle en pouvoit espérer de ce côté-là. Arrivé à Madrid, les mêmes moyens se présentèrent par la régence de la reine avec plus d’étendue qu’à Saragosse. Elle y eut toute l’occasion qu’elle voulut d’y connoître et d’y sonder l’esprit, les vues, les intérêts, la capacité de ceux qui formoient la junte, et de tâter, autant qu’elle put, tout ce qui étoit ou pouvoit devenir personnage. La bienséance ne vouloit pas que la reine fût seule avec tous les hommes qui étoient de la junte. Mme des Ursins l’y accompagna donc nécessairement et par ce moyen