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ferme opinion de Vaudemont qui se gardoit bien de mander ce qu’il en pensoit, la duperie et la confiance si ordinaire de Vendôme, tout cela rassuroit ; Mme de Maintenon ne pouvoit croire coupable le père de Mme la duchesse de Bourgogne ; Chamillart, séduit par les deux généraux, étoit de plus entraîné par elle, et le roi ne voyoit que par leurs yeux. À la fin mais trop tard, ils s’ouvrirent : mais avant de raconter le périlleux remède auquel, pour avoir trop attendu à croire, on fut forcé d’avoir recours, il faut voir l’entier changement de scène qui arriva en Espagne, et y reprendre les choses de plus haut.

Si on se souvient de ce que j’ai dit (t. III, p. 217 et suiv.) de la princesse des Ursins, lorsqu’elle fut choisie pour être camarera-mayor de la reine d’Espagne à son mariage, et depuis lors de l’apparente régence de cette princesse, pendant le voyage du roi son mari en Italie, on verra que Mme des Ursins vouloit régner ; elle n’y pouvoit atteindre qu’en donnant à la reine le goût des affaires et le désir d’y dominer, et se servir du tempérament de Philippe V et des grâces de son épouse pour un partage du sceptre qui, en laissant l’extérieur au roi, en feroit passer la puissance à la reine, c’est-à-dire à elle-même, qui la gouverneroit, et par elle le roi et sa monarchie. Un si grand projet avoit un besoin indispensable d’être appuyé du roi, qui dans ces commencements surtout ne gouvernoit pas moins la cour d’Espagne que la sienne propre, avec l’entière influence sur les affaires. Dans ce vaste dessein, conçu dès qu’elle eut joint et reconnu le roi et la reine, elle acheva de gagner son esprit qu’elle avoit ménagé pendant le voyage de Provence à Barcelone, par lui faire peur des dames espagnoles, à quoi ne lui servit pas peu l’incartade des dames du palais au souper du jour du mariage et celle de la reine qui la suivit. Elle crut n’avoir de ressource qu’en Mme des Ursins, elle s’y livra tout entière.

Cette princesse n’avoit pas été moins soigneusement élevée