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à garder et ce qu’il y venoit d’ajouter, quel chemin le détachement de l’armée d’Italien auroit-il point à faire, avec les difficultés des subsistances, des rivières à passer, des lacs à tourner, des montagnes et des défilés bien gardés à franchir ? Combien de temps, à bien employer ailleurs en Allemagne et en Italie, perdu à faire ce long et fâcheux trajet des deux côtés jusqu’à Trente, et cependant quel temps de respirer et d’entreprendre donné aux ennemis sur le Pô et sur le Danube, et pour achever la folie, dans un temps où on commençoit à se défier du duc de Savoie ! Mais il étoit arrêté dans les décrets de la Providence que l’aveuglement qui mit l’État si près du précipice devoit commencer ici.

La communication des nouvelles de Bavière n’étoit pas facile ; aucun officier général n’osoit se commettre à écrire ce qu’ils voyoient tous et dont ils gémissoient ; tout se discutoit et se décidoit pour la guerre entre le roi et Chamillart uniquement, et presque toujours en présence de Mme de Maintenon. On a vu ce qu’elle étoit à Villars ; elle vouloit qu’il fût un héros.

Chamillart n’avoit garde d’oser penser autrement ; son apprentissage dans les projets de guerre étoit nouveau. Le roi, qui se piquoit d’y être maître, se complaisoit en un ministre novice qu’il comptoit former et à qui les grandes opérations ne pourroient être attribuées. Friedlingen, la jonction, plus que tout cela, Mme de Maintenon l’avoit ébloui sur Villars. Ils voyoient l’électeur aussi ardent que lui au projet du Tyrol ; le moyen de ne les en pas croire sans réflexion, sans avisement des motifs, sans contradicteur ? La carte blanche leur fut donc laissée, et les ordres en conséquence envoyés en Italie pour l’exécution de la jonction par Trente. Vendôme amusoit le roi de bicoques emportées, de succès de trois cents ou quatre cents hommes, de projets qui ne s’exécutoient pas. Ses courriers étoient continuels, qui ne satisfaisoient que le roi, par le mérite de sa naissance et les soins attentifs de M. du Maine, et par lui de Mme de Maintenon, qui lui avoient dévoué Chamillart.