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demander au roi de le faire duc. La proposition parut telle qu’elle étoit, et fut refusée à plat.

Alors, Villars, n’espérant plus rien de l’électeur, songea à remplir ses coffres.

Il mit dans tous les pays où ses partis purent atteindre des sauvegardes et des contributions, qui n’épargnèrent pas même les pays de l’électeur dont il fit peu de part à la caisse militaire, et se fit à lui des millions. Des millions ne sont pas ici un terme en l’air pour exprimer de grandes sommes, je dis des millions très réels. Ce pillage déplut extrêmement à l’électeur ; mais ce qui l’outra, fut l’opposition qu’il trouva en Villars à tout, ce qu’il lui proposa de projets et mouvements de guerre. Villars vouloit s’enrichir, et rejetoit tout ce qui pouvoit resserrer ses contributions et, ses sauvegardes par l’éloignement de son armée, et par des entreprises faciles et utiles, mais qui, le, tenant près de l’ennemi, le mettoient hors de portée de ce gain immense.

D’autre part, loin de craindre de se brouiller avec l’électeur, c’étoit tout son but, depuis qu’il avoit échoué à une dernière tentative de faire venir sa femme le trouver. Le roi, à force d’importunité, y avoit consenti ; là-dessus Villars avoit demandé un passeport pour elle au prince Louis de Bade, qui, piqué du ravage de ses terres, sur son premier refus, renvoya à Villars la lettre qu’il en avoit reçue tout ouverte, sans lui faire un seul mot de réponse.

La jalousie le poignardoit ; à quelque prix que ce fût il vouloit aller rejoindre sa femme. Ni les succès sur le Danube, ni le concert avec l’électeur n’étoient pas propres à avancer son dessein ; il réduisit donc ce prince à ne pouvoir demeurer avec lui, ni à espérer de rien exécuter en Allemagne.

Cette étrange situation lui fit concevoir le dessein, pour ne pas demeurer inutile spectateur des trésors que Villars amassoit, de se rendre maître du Tyrol. Villars, ravi de se délivrer de lui et de ses troupes, pour avoir ses coudées plus franches et qu’on se prît moins à lui d’une si fatale