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disposoient d’eux ; et ces pères n’ont jamais aimé des prélats assez grands pour n’avoir pas besoin d’eux, et dont étant néanmoins ménagés et bien traités comme ils l’étoient de Bonzi, se trouvoient en posture de les faire compter avec eux si d’aventure il leur en prenoit envie.

Le bon cardinal, quoique en âge où les passions sont ordinairement amorties, étoit éperdument amoureux d’une Mme de Gange, belle-sœur de celle dont la vertu et l’horrible catastrophe a fait tant de bruit. Les Soubise ne sont pas si rares qu’on le croit : Cet amour étoit fort utile au mari ; il ne voulut donc jamais rien voir, et profitoit grandement de ce que toute la province voyoit, et qu’il avoit bien résolu de ne voir jamais, quoique sous ses yeux. Le scandale étoit en effet très réel, et sans l’affection générale que toute la province portoit au cardinal, cela auroit fait beaucoup plus de bruit. Bâville l’excita tant qu’il put : il procura au cardinal des avis fâcheux de la part du roi, puis des lettres du P. de La Chaise par son ordre, enfin quelque chose de plus par Châteauneuf, secrétaire d’État de la province. Bonzi alla à la cour, espérant tout de sa présence : il y fut trompé ; il trouva le roi bien instruit, qui lui parla fort franchement, et qui, par son expérience, ne se paya point de l’aveuglement volontaire du mari. Bonzi, rappelé à Montpellier pour les états, ne put se contenir. Il avoit découvert que le coup lui étoit porté par Bâville. Il le trouva plus hardi et plus ferme dans le cours des affaires qu’il n’avoit encore osé se montrer ; il fit des parties contre le cardinal, qui s’attira des dégoûts sur ce qu’il ne changeoit point de conduite avec sa belle. Il était accusé de ne lui rien refuser, et comme il disposoit dans les états, et hors leur tenue, de beaucoup de choses pécuniaires et de bien des emplois de toutes les sortes, Mme de Gange étoit accusée de s’y enrichir, et il y en avoit bien quelque chose. Cette espèce de déprédation fut grossie à la cour par Bâville, dont le but étoit d’ôter au cardinal tout ce qu’il pourroit de dispositions, de grâces à