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fut fort accusée d’avoir fait empoisonner son mari à l’armée, en 1673. Il étoit gouverneur de Champagne et colonel général des Suisses et Grisons. Sa sœur la princesse de Bade fut longtemps dame du palais de la reine, qui n’eut et ne prétendit jamais aucune préférence sur les duchesses et les princesses de la maison de Lorraine, qui étoient aussi dames du palais, et qui toutes rouloient ensemble sans distinction entre elles et faisoient le même service. Elle eut part à la disgrâce de la princesse de Carignan sa mère, et fut remerciée. Le prince Louis de Bade, si connu à la tête des armées de l’empereur, étoit filleul du roi, et avoit passé en France sa première jeunesse.

Le comte de Soissons, sans père et ayant sa mère en situation de n’oser jamais revenir en France, y fut élevé par la princesse de Carignan, sa grand’mère, avec le prince Eugène et d’autres frères qu’il perdit, et ses sœurs dont j’ai parlé lors du mariage de Mme la duchesse de Bourgogne.

C’étoit un homme de peu de génie, fort adonné à ses plaisirs, panier percé qui empruntoit volontiers et ne rendoit guère. Sa naissance le mettoit en bonne compagnie, son goût en mauvaise. À vingt-cinq ans, amoureux fou de la fille bâtarde de La Cropte-Beauvois[1], écuyer de M. le Prince le héros, il l’épousa au désespoir de la princesse de Carignan, sa grand’mère, et de toute sa parenté. Elle étoit belle comme le plus beau jour, et vertueuse, brune, avec ces grands traits qu’on peint aux sultanes et à ces beautés romaines, grande, l’air noble, doux, engageant, avec peu ou point d’esprit. Elle surprit à la cour par l’éclat de ses charmes qui firent en quelque manière pardonner presque au comte de Soissons ; l’un et l’autre doux et fort polis.

Elle étoit si bien bâtarde, que M. le Prince, sachant son

  1. Voy., à la fin de ce volume, la note rectificative remise à. M. le duc de Saint-Simon par M. le comte de Chantérac. Elle établit qu’Uranie de La Cropye-Beauvais était fille légitime de l’écuyer de M. le Prince et de Charlotte-Martel.