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tous deux se jouant du détail ; tous deux adorés de leurs généraux et depuis qu’ils le furent adorés aussi des officiers généraux et particuliers et des troupes, sans abandonner la discipline ; tous deux arrivés par le service continuel d’été et d’hiver et enfin par les ambassades, Harcourt plus haut avec Mme de Maintenon en croupe, Tallard plus souple ; tous deux avec la même [habileté] et la même sorte d’ambition ; et le dernier porté par le maréchal de Villeroy, et à la fin par les Soubise. Une alliance, point extrêmement proche, commença et soutint sa fortune dans un temps où les parents se piquoient de le sentir. La mère de Tallard étoit fille d’une sœur du premier maréchal de Villeroy remariée depuis à Courcelles, sous le nom duquel elle fit tant de bruit en son temps par ses galanteries. Elle mourut en 1688, et le maréchal son frère en 1685. La mère de Tallard étoit fort du grand monde. Tallard, nourri dans l’intime liaison des Villeroy et courtisan du second maréchal, s’initia dans toutes les bonnes compagnies de la cour.

C’étoit un homme de médiocre taille avec des yeux un peu jaloux, pleins de feu et d’esprit, mais qui ne voyoient goutte ; maigre, hâve, qui représentoit l’ambition, l’envie et l’avarice ; beaucoup d’esprit et de grâces dans l’esprit, mais sans cesse battu du diable par son ambition, ses vues, ses menées, ses détours, et qui ne pensoit et ne respiroit autre chose. J’en ai parlé ailleurs, et j’aurai lieu d’en parler plus d’une fois encore. Il suffira de dire ici, que qui que ce soit ne se fiait en lui, et que tout le monde se plaisoit en sa compagnie.

Harcourt, j’en ai beaucoup parlé en divers endroits, et j’aurai occasion d’en parler bien encore. Je pense en avoir assez dit pour le faire connoître. C’étoit un beau et vaste génie d’homme, un esprit charmant, mais une ambition sans bornes, une avarice sordide, et quand il pouvoit prendre le montant, une hauteur, un mépris des autres, une domination insupportable ; tous les dehors de la vertu, tous