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précèdent le doyen des conseillers d’État, comme faisoient MM. de Reims et de Noyon. L’abbé Bignon fut transporté de joie d’une distinction jusqu’à lui inouïe. Son oncle le mit dans des bureaux en attendant qu’il lui en pût donner, et à la tête de toutes les académies : ce dernier emploi étoit fait exprès pour lui. Il étoit un des premiers hommes de lettres de l’Europe ; et il y brilla, et solidement. Il amassa plus de cinquante mille volumes, que nombre d’années après il vendit au fameux Law qui cherchoit à placer de l’argent à tout. L’abbé Bignon n’en avoit plus que faire. Il étoit devenu doyen du conseil à la tête de quantité de bureaux et d’affaires, et bibliothécaire du roi. Il se fit une île enchantée auprès de Meulan, qui se put comparer en son genre à celle de Caprée ; l’âge ni les places ne l’ayant pas changé, et n’y ayant gagné qu’à faire estimer son savoir et son esprit aux dépens de son cœur et de son âme. Noyon ne fut pas mieux rempli, mais à la renverse de la place de conseiller d’État par un homme de condition et de très saintes mœurs et vie, mais d’ailleurs un butor.

M. de Chartres avoit trouvé à Saint-Sulpice un gros et grand pied plat, lourd, bête, ignorant, esprit de travers, mais très homme de bien, saint prêtre pour desservir, non pas une cure, mais une chapelle ; surtout sulpicien excellent en toutes les minuties et les inutiles puérilités qui y font loi, et qu’il mit toute sa vie à côté ou même au-dessus des plus éminentes vertus. Ce garçon n’en savoit pas davantage, et n’étoit pas capable de rien apprendre de mieux ; d’ailleurs pauvre, crasseux et huileux à merveille. Ces dehors trop puissants sur M. de Chartres, et qui par ses mauvais choix ont perdu notre épiscopat, l’engagèrent à s’informer de lui. C’étoit un homme de bonne et ancienne noblesse d’Anjou qui s’appeloit d’Aubigny ; ce nom le frappa encore plus, il le prit ou le voulut prendre pour parent de Mme de Maintenon qui étoit d’Aunis, et s’appeloit d’Aubigné. Il lui en parla et à ce pied plat aussi, qui, tout bête qu’il fût, ne