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à qui la tête ne tourna ni ne manqua dans cette conjoncture si extraordinaire et si brillante, poli et considéré, et qui se fit aimer et estimer de tout le monde. Le roi lui procura, au sortir d’ici, la vice-royauté du Pérou pour l’enrichir, où il mourut au bout de quelques années dans un âge médiocrement avancé. Il reçut tous ses diplômes de grand d’Espagne de première classe gratis, par un courrier, aussitôt après l’arrivée du roi d’Espagne à Madrid.

Le duc d’Harcourt étoit retourné à Madrid par ordre du roi, où il fut reçu avec la plus grande joie. La junte, qui désira qu’il y assistât quelquefois, lui donna le choix de sa place, qu’il prit à la gauche de la reine, le cardinal Portocarrero étant à droite, et après lui ceux qui la composent, la place de la reine demeurant vide en son absence, et elle ne s’y trouvoit presque jamais. Cette junte supplia le roi de donner ses ordres dans tous les États du roi son petitfils, et lui manda qu’elle avoit envoyé ordre à l’électeur de Bavière, au duc de Medina-Celi, au prince de Vaudemont, en un mot à tous les vice-rois et gouverneurs généraux et particuliers, ambassadeurs et ministres d’Espagne, de lui obéir en tout sans attendre d’autres ordres sur tout ce qu’il lui plairoit de commander, de même à tous les officiers de finance et autres de la monarchie.

Le Nord étoit cependant fort troublé, au grand déplaisir de l’empereur qui avoit moyenné la paix entre la Suède et le Danemark, à qui le jeune roi de Suède avoit fait grand mal et encore plus de peur par ses conquêtes en personne. Le roi y entra aussi plus pour l’honneur que pour l’effet. De là ce jeune prince attaqua les Moscovites, qu’il battit avec une poignée de troupes contre près de cent mille hommes ; il força leurs retranchements à Narva, leur fit lever des sièges, les chassa de la Livonie et des provinces voisines, et s’irrita fort contre le roi de Pologne, qui s’étoit allié avec eux pour soutenir sa guerre d’Elbing, dans laquelle la Pologne avoit refusé d’entrer, et où Oginski, à la tête d’un