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souverainement, tenir le roi son mari toujours en brassière, et dépendre le moins qu’il lui est possible du roi son grand-père : voilà son génie et son caractère. Quiconque la prendra différemment ne l’a jamais connue.

« Veragua est la superbe même [1] ; il est ingénieux, plein d’artifice et d’esprit, et tel qu’il convient d’être pour parvenir au grade de favori de la princesse. Il hait la France souverainement, et autant que l’Espagne le méprise, qui est tout dire.

« Aguilar est à peu près de ce même caractère, et pour qu’il fût content et bien à son aise, il faudroit que la nation française fût éteinte en Espagne [2].

« Medina-Celi a la gloire de Lucifer, la tête pleine de vent et d’idées chimériques. De son mérite, je n’en parle pas, j’en laisse le soin aux historiens de Naples. Il se dit attaché au roi et à la France ; mais sa conduite tous les jours le dément.

« Monterey ne manque pas aussi de sens pour les affaires ; mais c’est une girouette qui tourne à tous vents, qui condamne tout et ne remédie à rien [3]. Il a beaucoup de confrères en ce monde.

 « Mancera est un des plus raffinés ministres que j’aie connus ; mais rien ne tient contre quatre-vingt-douze ans, et il faut bien à la fin que l’esprit et le bon sens cèdent à l’extrême vieillesse [4].

« Arias est une des meilleures têtes qu’il y ait en Espagne. Il est incorruptible et sa vertu est toute romaine. Il aime l’État et la personne du roi d’Espagne, et a une vénération toute particulière pour le roi [5]. Il vit comme un ange dans son diocèse, et est généralement aimé et respecté de tout le monde dans Séville. Son seul mérite est la cause de sa disgrâce.

« Le cardinal Portocarrero est un homme de talents fort médiocres, mais d’une grande probité, fidèle et uniquement attaché à son maître, haut et ferme pour le bien de l’État, allant toujours à ce qui peut contribuer à sa conservation, esclave de sa parole, et qui mérite une grande distinction à tous égards possibles [6]. C’est celui qui a mis la couronna sur la tête du roi, qui, envers et contre tous, la lui a conservée, et celui qui, pour avoir eu le malheur de déplaire à Mme des Ursins, est traité avec honte et ignominie ; ce qui fait gémir le peuple et la noblesse.

« Medina-Sidonia [7] ne manque pas d’intelligence ; il est très galant

  1. Voy. p. 5 et 91 de ce volume.
  2. Ibid., p. 125 et 126.
  3. Ibid., p. 126.
  4. Ibid., p. 6, 7 et 121.
  5. Ibid., p. 6.
  6. Ibid., p. 4 et 5.
  7. Ibid., p. 7.