Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/434

Cette page n’a pas encore été corrigée

ce qui paroît un prodige, et ne s’aperçurent que lorsque de part et d’autre les premières troupes commencèrent à monter la pente peu sensible de ce rideau. Qui attaqua les premiers, c’est ce qui ne se peut dire, mais dans un instant tout prit poste des deux côtés et se chargea pour s’en chasser. Jamais combat si vif, si chaud, si disputé, si acharné ; jamais tant de valeur de toutes parts, jamais une résistance si opiniâtre, jamais un feu ni dés efforts si continuels, jamais de succès si incertain ; la nuit finit le combat, chacun se retira un très petit espace et demeura toute la nuit sous les armes, le champ de bataille demeurant vide entredeux et Luzzara derrière notre armée, mais tout proche.

Le roi d’Espagne se tint longtemps au plus grand feu avec une tranquillité parfaite ; il regardoit de tous côtés les attaques réciproques dans ce terrain étroit et fort coupé, où l’infanterie même avoit peine à se manier, et où la cavalerie derrière elle ne pouvoit agir. Il riait assez souvent de la peur qu’il croyoit remarquer dans quelques-uns de sa suite ; et ce qui est surprenant, avec une valeur si bien prouvée, sans curiosité d’aller çà et là voir ce qui se passoit en différents endroits. À la fin Louville se proposa de se retirer plus bas sous des arbres, où il ne seroit pas si exposé au soleil, mais en effet parce qu’il y seroit plus à couvert du feu. Il y alla et y demeura avec le même flegme. Louville, après l’y avoir placé, s’en alla voir de plus près ce qui se passoit, et tout à la fin revint au roi d’Espagne, à qui il proposa de se rapprocher, et qui ne se le fit pas dire deux fois, pour se montrer aux troupes.

Marsin ne demeura pas un moment auprès de lui, prit son poste de lieutenant général et s’y distingua fort. Les deux généraux opposés y firent merveilles.

L’émulation les transportoit, et la présence du roi d’Espagne fut un aiguillon au prince Eugène, qui dans le souvenir de la bataille de Pavie, lui fit faire des prodiges.

Le carnage fut grand de part et d’autre, et fort peu de prisonniers. Le marquis de Créqui, lieutenant général, y