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m’en parle plus, et mettons-nous à jouer tout à l’heure ;  » et de ce pas prenoit des cartes qu’elle n’interrompoit que le temps des deux repas, et trouvoit mauvais encore qu’on la quittât à deux heures après minuit. Elle mangeoit peu, souvent sans boire, au plus un verre d’eau.

Qui l’auroit crue, on eût fait son repas sans quitter les cartes. Elle savoit beaucoup et en histoire et en sciences ; jamais il n’y paraissoit. Toujours masquée en carrosse, en chaise, à pied par les galeries : c’étoit une ancienne mode qu’elle n’avoit pu quitter, même dans le carrosse de Madame. Elle disoit que son teint s’élevoit en croûte sitôt que l’air le frappoit ; en effet, elle le conserva beau toute sa vie, qui passa quatre-vingts ans, sans d’ailleurs avoir jamais prétendu en beauté. Avec tout cela, elle étoit fort considérée et comptée. Elle prétendoit connoître l’avenir par des calculs et de petits points, et cela l’avoit attachée à Madame, qui avoit fort ces sortes de curiosités ; mais la maréchale s’en cachoit fort.

Il faut donner le dernier trait à cette espèce de personnage. Elle avoit une sœur religieuse à Saint-Antoine à Paris, qui, à ce qu’on disoit, avoit pour le moins autant d’esprit et de savoir qu’elle : c’étoit la seule personne qu’elle aimât. Elle l’alloit voir très souvent de Versailles ; et, quoique très avare mais fort riche, elle l’accabloit de présents. Cette fille tomba malade ; elle la fut voir et y envoya sans cesse. Lorsqu’elle la sut fort mal et qu’elle comprit qu’elle n’en reviendroit pas : « Oh bien, dit-elle, ma pauvre sœur, qu’on ne m’en parle plus. » Sa sœur mourut, et oncques depuis elle n’en a parlé ni personne à elle. Pour ses deux fils, elle ne s’en soucioit point, et n’avoit pas grand tort, quoiqu’en grande mesure avec elle ; elle les perdit tous deux, il n’y parut pas et dès les premiers moments.

La comtesse de Beuvron étoit une autre femme à qui, non plus qu’à la maréchale de Clérembault, il ne falloit pas déplaire, et qui étoit extrêmement de mes amies. Elle étoit fille de condition de Gascogne ; son père s’appeloit le